Parce que leur partenaire ne supporte plus la pilule, par conviction ou pour partager la charge mentale, de plus en plus d’hommes s’intéressent à la contraception masculine. Vasectomie, méthode hormonale ou thermique, certains passent le cap et deviennent des contraceptés. À Toulouse, l’association Garcon propose espace de discussion, accompagnement et ateliers de couture de dispositifs contraceptifs.
La contraception masculine, une pilule qui ne passe pas ? À d’autres ! Ce mercredi soir, calés dans le canapé d’un appartement toulousain, verre à la main, parts de quiche à disposition, ça discute sec, ça s’interroge au pied du clocher des Jacobins. « Et toi, t’en es où de ta contraception ? » Ni pilule, ni stérilet dans la conversation. Ce soir, il n’y a que des hommes autour de la table. D’un côté, ceux qui ont testé ou adopté une méthode contraceptive masculine, de l’autre des curieux prêts à franchir le pas, ou enclins à se faire un avis.
Chaque semaine depuis 3 ans, l’association toulousaine Garcon (Groupe d’action et de recherche pour la contraception) organise des ateliers de discussion et de fabrication de slips contraceptifs. L’objectif de ce collectif est de rassembler, documenter le savoir-faire et le partager. Dans ces ateliers, jusqu’à dix hommes (parfois accompagnés de leur partenaire) viennent ici chercher des informations, voire faire tourner la machine à coudre afin de se confectionner leurs propres dispositifs.
Ce mercredi soir, c’est Thomas, ingénieur de 31 ans et membre actif de l’association qui ouvre les portes de sa coloc à l’atelier. Pour l’aider à mener les échanges, il est accompagné d’Erwan Tavernier, co-fondateur de Garcon. Côté participants, ils sont quatre, âgés de 24 à 30 ans, avec chacun leurs motivations et connaissances sur le sujet. Car en la matière, il y a ce qui se sait, ce que l’on croit, ce qui se fait, ce qui est reconnu par les autorités sanitaires, etc.
Aujourd’hui, en France, la Haute autorité de santé (HAS) reconnaît trois méthodes contraceptives pour les hommes : la vasectomie (présentée comme définitive), le retrait et le préservatif. L’Organisation Mondiale de Santé, elle, valide aussi la méthode hormonale : une injection de testostérone en intramusculaire une fois par semaine. Cette option ne peut être pratiquée que dans un cadre médical strict, et pour une durée maximum de 18 mois.Thomas l’a adoptée pendant quelques temps. Pour sa copine de l’époque, le deal était clair : capote ou rien. Thomas a donc pris sur lui la charge contraceptive. D’une voix claire et posée, il détaille : « La science est calée sur la méthode hormonale. Ce n’était a priori pas très contraignant, mais ça se complique quand tu sors de ton quotidien, quand tu n’es pas chez toi, quand tu galères à trouver quelqu’un pour te faire la piqûre. J’ai mesuré ce que c’était d’avoir une contraception. »Autre option : la méthode thermique. La température du corps humain est de 37°C, celle permettant la production des spermatozoïdes est d’environ 35°C. Pour que tout ce petit monde reste à bonne température, le scrotum (l’enveloppe cutanée des bourses) se détend ou se rétracte afin de rapprocher ou d’éloigner les testicules du corps. Mécaniquement, si vous voulez contrarier Dame nature et prendre le contrôle de votre spermatogénèse, il suffit donc de rapprocher les testicules du corps. Au-delà de 36°C, la production des spermatozoïdes est en chute libre. Passé un certain seuil (15millions/ml), la probabilité pour un homme d’être fécond est limitée. Bingo, c’est l’effet recherché.
Jockestrap ou Androswitch ?
À Toulouse, depuis de nombreuses années, le Dr Roger Mieusset, andrologue, étudie la contraception masculine. Il a mis au point un slip chauffant : un sous-vêtement équipé de bandelettes élastiques qui maintiennent les testicules contre le corps. Pour être efficace – et mesuré grâce à un spermogramme – le dispositif doit être porté 15 heures d’affilée par jour. En cas d’arrêt du port du slip, la fabrication de spermatozoïdes reprend son court. Le Dr Mieusset a prescrit ce dispositif à des dizaines de couples venus de toute la France et suivi leur contraception. Mais c’est terminé, l’andrologue est à la retraite. Il n’est désormais plus possible d’obtenir une prescription.Erwan Tavernier fait partie des hommes qui ont poussé la porte du cabinet de l’andrologue toulousain. Après des « galères de contraception, des capotes craquées, de la bricole avec le retrait », il souhaitait « ne plus dépendre de la contraception de [sa] partenaire », et « ne plus faire peser sur elle [son] absence de désir d’enfant ». D’un point de vue médical, aucune contre-indication à ce qu’il porte un slip chauffant. « J’ai eu mon slip en juillet, trois mois après, j’étais contracepté et j’avais le sourire jusqu’aux oreilles. » C’était il y a plus de 5 ans, et depuis, aucun incident. C’est son parcours qu’il raconte ce soir aux hommes venus à l’atelier. Après trois ans de slip Mieusset, il a opté pour un autre sous-vêtement : le jockestrap (suspensoir, en français) (pour Le Robert : bandage, dispositif destiné à soutenir un organe, spécialement le scrotum et les testicules). « Chez Garcon, on présente l’éventail des méthodes qui existent, mais nous ne distribuons rien. » Il prévient : « Votre démarche est personnelle. » Et engage la responsabilité de chacun.
« Dire que la société n’est pas prête est faux. Dans les années 2010, lorsqu’il y a eu la crise de la pilule, le nombre de vasectomie a augmenté » - Erwan Tavernier, du groupe Garcon
Sur la table, devant les hommes, il y a donc un slip, le jockstrap, et un anneau en silicone. Ce dernier, baptisé Androswitch, a été retoqué en décembre dernier par l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Le gendarme de la santé a déclaré suspendre « la distribution en gros et la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, en l’absence de tout marquage CE, seul élément permettant d’en garantir l’efficacité ainsi que la sécurité d’utilisation ». Pour l’heure, l’Androswitch pourra être utilisé « seulement dans le cadre d’un essai clinique dûment autorisé ». Alors que depuis des décennies des articles vantent régulièrement le progrès des scientifiques en matière de pilule pour homme, en 2022, toujours rien sur le marché. Pourquoi ? La contraception féminine est un système bien établi. La contraception masculine, elle, est victime d’un manque d’investissements financiers (et politiques ?) et du poids des mentalités. « On sait que de l’offre naît la demande, affirme pour sa part Erwan Tavernier. D’autant que dans le cas présent, la demande est déjà là. Il y a un problème de désinformation, un manque de moyens et d’accompagnement. Dire que la société n’est pas prête est faux. Dans les années 2010, lorsqu’il y a eu la crise de la pilule (de 3e et 4e génération NDLR) le nombre de vasectomie a augmenté. » Une réalité que constate le Dr François Isus, andrologue et chef du service médecine de la reproduction au CHU de Toulouse : « Nous avons vu qu’en dix ans, le nombre de demandes de vasectomie a été multiplié par dix. Pendant un temps, nos patients étaient uniquement des hommes qui avaient eu plusieurs enfants et qui n’en voulaient plus. Maintenant, nous recevons aussi des jeunes de 25 ans qui demandent une vasectomie. Chaque médecin est ensuite libre, en conscience, de faire ou ne pas faire. »
Gare au nice guy
Depuis 2020, ce spécialiste de l’infertilité a aussi vu arriver dans son cabinet des hommes en demande de contraception réversible, et notamment intéressés par la méthode thermique. « Il est difficile pour les médecins de promouvoir des techniques qui ne sont pas reconnues. On a vu débouler des hommes qui venaient se renseigner et qui faisaient à peu près n’importe quoi. C’est-à-dire pas de spermogramme initial, ou qui avait une cryptorchidie (un défaut de la migration d’un ou des testicules lors de la vie fœtale) passée à l’as. Notre rôle est de dire, attention, il y a peut-être un risque pour la fertilité. À l’heure actuelle, je ne prescris aucune méthode de contraception. Par contre, si des couples en font la demande, et font leur propre démarche, je peux les suivre et les avertir des contre-indications et les risques qu’ils prennent. »
Pour Erwan Tavernier, du groupe Garcon, « il faut un accompagnement, que les hommes comprennent comment fonctionne la spermatogénèse, des spermogrammes réalisés au bon moment… Les médecins ont un rôle à jouer, mais il n’est pas forcément central. »
Julien, 24 ans, se dit prêt à franchir le pas, à « renoncer au truc confortable dans lequel je me suis laissé prendre, à me reconnecter avec mon corps »
Ce qui compte avant tout serait donc la motivation des hommes à prendre en charge leur contraception. Autour de la table, ce mercredi, chacun arrive avec son histoire. Julien, 24 ans, lunettes rondes et catogan, se dit prêt à franchir le pas, à « renoncer au truc confortable dans lequel je me suis laissé prendre, à retrouver une responsabilité enlevée par la société, à me reconnecter avec mon corps. » Deux de ses colocataires ont déjà adopté la méthode thermique. Un sacré plus, l’occasion « de discuter de notre intimité, de partager, alors que la sexualité est un tabou chez les hommes. »
Jonathan, 30 ans, boule à zéro et grands yeux bleus, a rejoint l’association Garcon sur les conseils de son médecin traitant installé en périphérie de Toulouse. Ce technicien en informatique revendique avant tout un acte politique. « Ma partenaire est condamnée à prendre la pilule pour des raisons hormonales. Ma contraception viendrait en complément. Je me revendique féministe. Il y a plein de choses sur lesquelles je ne peux pas agir. Être contracepté, c’est avoir la possibilité d’en parler, de montrer que c’est possible. » En face, Lucas, 26 ans, étudiant en génie biomédical a croisé Garcon sur son campus. Il cherche à comprendre où ça bloque. « Mon médecin n’est au courant de rien de ce qui se fait en matière de contraception masculine. J’ai eu un certain nombre de relations, et presque toujours, mes partenaires contraceptées avaient des effets secondaires. Je voudrais comprendre…»
Ce mercredi soir, pas de place aux non-dits mais trois heures de discussion menées tambour battant autour des méthodes existantes de contraception, de la « vision patriarcale de la reproduction, de la sexualité », etc. « Est-ce que l’on peut faire du sport avec un jokestrap ? », « Anneau ou slip ? », « Porter ce slip 15 heures par jour, n’est-ce pas gênant ? » Pas plus qu’un soutien-gorge diront certaines… Et il est essentiel de respecter un certain protocole pour que la méthode fonctionne. Pour éviter loupés et complications, Garcon prône l’accompagnement des hommes.
Alors, militante la contraception masculine ? « Il faut faire attention au principe du ‘nice guy’, du mec sympa, avance Erwan Tavernier. La contraception masculine pourrait aussi permettre de se racheter une conduite à moindre frais. L’investissement est mineur mais la valorisation en société est maximale ! Le principal moteur, c’est l’intérêt que l’on porte aux femmes. Lorsqu’elles galèrent avec leur contraception, elles sont moins disponibles sexuellement. » Le cofondateur de Garcon poursuit : « Aujourd’hui, la demande est du côté des femmes. Les hommes cherchent des solutions pour eux, il n’y a pas de démarche collective. Nous sommes très loin des mobilisations massives des femmes dans les années 1970. » Le combat serait donc aussi à mener sur le terrain du politique. Les optimistes retiendront, qu’en lame de fond, la contraception masculine commence à se frayer un chemin.