Retourner à la terre, valoriser ses déchets, manger sain... Autant de raisons qui expliquent le succès des poulaillers urbains depuis quelques années. À Toulouse, un projet conjoint de l’École vétérinaire et de l’ENSAT s’intéresse aux propriétaires de poules et à leurs pratiques. Car accueillir cocotte réclame le plus grand soin, si l’on ne veut pas s’exposer à des risques sanitaires.
Jéromine a chaud et semble un peu effrayée. Soudain, elle s’affole, se cogne contre la vitre. Marie Souvestre la calme en la caressant… et en lui posant la main sur le bréchet. Car Jéromine est une poule, plus précisément de la race marans, au plumage noir moiré de brun. Une galline bien dodue à crête écarlate qui, ce jour, joue les figurantes avec beaucoup de bonne volonté. Mais elle aurait parfaitement pu venir se faire soigner pour de vrai ici, à la clinique des « NAC » (nouveaux animaux de compagnie) de l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Cocotte serait-elle donc aussi fashionable que des furets gerbilles ? « Il en vient plusieurs fois par semaine et la tendance est à la hausse depuis quelques années », explique la jeune vétérinaire, qui consacre une thèse au sujet. Des poules et des poulaillers, il y en a toujours eu à la campagne. Mais depuis quelques années, les poulaillers urbains ont le vent en poule.
POUR UNE ALIMENTATION SAINE Le phénomène a émergé autour de l’an 2000. En particulier à New York, comme toute mode qui se respecte. Des jardins communautaires du Bronx, du Queens ou de Brooklyn, il s’étend au reste du monde et gagne en particulier l’Europe des villes, prise elle aussi d’une envie de retour à la terre, réel ou fantasmé. Mais qui sont au juste les propriétaires de poules ? Et quelles sont leurs pratiques ? Pour le savoir, un projet de sciences participatives, POC (Poule Occitane), a été lancé en 2018 par l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) en partenariat avec l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSAT). Il vient de s’achever. En deux ans d’enquête, plus de 300 gallinophiles occitans ont répondu au questionnaire en ligne, et plus de 1200 au plan national. Un échantillon assez large pour préciser les motivations de ces aventuriers de la basse-cour, qui possèdent trois poules en moyenne en ville (sept en périphérie), depuis moins de cinq ans pour les deux tiers d’entre eux. La première raison invoquée, pour 95 % des personnes interrogées : produire soi-même une alimentation saine. « L’œuf, ce sont des protéines de qualité produites avec pas grand-chose », souligne Marie Souvestre. Les scandales liés à la sécurité alimentaire ont marqué les esprits – notamment celui, en 2017, des œufs contaminés par du Fipronil, un insecticide interdit dans les élevages de poules européens. De même que les vidéos de l’association L214, qui ont révélé des cas extrêmes de maltraitance des animaux d’élevage. La tendance au manger local ne cesse par ailleurs de progresser. Un aspect plus symbolique enfin : l’œuf, avec sa forme parfaite, est une sorte de don de la nature… C’est pourquoi, au contraire de la poule, le coq est gallina non grata en ville : il ne pond rien, s’entiche parfois de pendules et, par-dessus le marché, casse les oreilles du voisinage avec de nombreux conflits à la clé. Deuxième motivation, pour 82% des sondés : recycler ses déchets organiques. « La poule, c’est un composteur sur pattes », résume Marie Souvestre. Elle peut manger tous les restes de repas… y compris de la viande. Elle en a même besoin. Car si les poules n’auront pas de dents avant longtemps, elles sont omnivores et, dans le poulailler, ne dédaignent pas les vers de terre ou les escargots. Selon une étude réalisée par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en 2015, une poule est capable d’absorber 75 kg de biodéchets et de produire 200 œufs par an. Un chiffre à mettre en regard de notre production totale de déchets : 300 kg par an et par personne, qui pourrait être substantiellement réduite grâce à nos amies à crête.
En troisième position viennent des préoccupations liées à la compagnie la relation humain-animal (49%), l’écologie et l’éthique (40%). Il s’agit notamment d’offrir une deuxième vie à des poules pondeuses mises à la retraite par les élevages industriels et vendues aux particuliers. Quant au profil type des propriétaires de poules en ville, 47% des répondants ont entre 30 et 49 ans, beaucoup sont de jeunes couples avec enfants, comme Andrew McMichael et sa famille. Mais les poules ont aussi investi des jardins partagés, à Tournefeuille par exemple, ou encore des colocations du centre de Toulouse. Cependant la sociologie des propriétaires de poules n’est pas tout. Le projet POC s’intéresse particulièrement à la manière dont ils entretiennent leur poulailler et prennent soin de leurs animaux. Retrouvons donc Jéromine. Marie Souvestre lui introduit un écouvillon dans le bec pour effectuer un prélèvement non invasif dans sa trachée – un examen équivalent à un test COVID pour nous. Objectif : détecter virus et bactéries. Car la poule peut contracter des maladies digestives et respiratoires. Elle héberge des pathogènes, dont certains sont transmissibles à l’humain, comme les salmonelles, qui provoquent des diarrhées aiguës. Mais aussi les virus de la grippe aviaire par exemple. En 1997, à Hong Kong, le virus H5N1, issu d’élevages industriels, a contaminé des humains. En 2005, le virus a atteint l’Union européenne, déclenché la prise de mesure sanitaires dans les élevages et, en France, l’achat d’antiviraux et de centaines de millions de masques de protection… En 2016 et 2017, c’est le virus H5N8, une autre grippe aviaire, qui a contraint les éleveurs du sud-ouest à abattre près de 4 millions de canards. Des travaux menés par Marie Souvestre ont montré que les basse-cours avaient joué un rôle mineur dans la diffusion de la maladie. En revanche, celle-ci a pu être véhiculée par des éleveurs qui font le va-et-vient entre les élevages industriels. Les poules urbaines peuvent être aussi être contaminées par la faune sauvage, notamment des oiseaux migrateurs, ainsi que par les oiseaux des jardins nourris par les nombreuses mangeoires. « Les poulaillers urbains peuvent être à la fois témoins et vecteurs de maladies » résume Marie Souvestre. C’est pourquoi de bonnes pratiques sont indispensables en basse-cour : utiliser des chaussures dédiées, se laver les mains avant et après la visite du poulailler, nettoyer celui-ci régulièrement, bien le ventiler, ne pas faire entrer d’animaux chez soi, éviter d’embrasser les poussins même s’ils sont trop mignons… Des injonctions hygiénistes, dont on ne manque pas en cette période de pandémie, mais il s’agit aussi de veiller au bien-être de l’animal. De fait, l’enquête POC montre que les propriétaires de poules ne sont pas toujours au fait de certaines de ces précautions, et méconnaissent parfois la physiologie et les besoins des poules. La solution ? « Mettre en réseau les propriétaires de poules, les vétérinaires et les laboratoires de recherche », explique Marie Souvestre. Se regrouper pour élever des poules est aussi une possibilité. Car le volatile a besoin d’un minimum d’espace vital. Pour trois poules, il faudrait compter en théorie environ 25 m2 de terrain dédié, sans compter la surface du poulailler. « L’élevage individuel de poules, ce n’est pas forcément l’idéal en ville. Un poulailler collectif, ou une micro-ferme sont plus adaptés : on partage les œufs et la pédagogie » souligne Camille Dumat, sociologue au Certop (Centre d’étude et de recherche Travail Organisation Pouvoir) à l’Université Jean-Jaurès, qui consacre une part de ses travaux aux agricultures urbaines et a participé au projet POC. Par l’éducation à l’animal et au mieux manger, la poule peut créer du lien. Mais gare à l’excès. « La poule en ville ne doit pas générer de la surconsommation, avec l’acquisition du poulailler dernier cri et de tous ses accessoires. Il ne faut pas perdre de vue un objectif de durabilité », souligne Camille Dumat. Effet de mode ou phénomène durable ? Une chose est sûre, on entend de plus en plus souvent des caquètements au détour des rues de Toulouse.