Depuis janvier, une Agence des Pyrénées créée par les Régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine est en charge de la promotion et du développement du massif. Elle est née de la fusion de trois structures, dont la Confédération pyrénéenne du tourisme et une association méconnue : l’Adepfo. Fille de la décentralisation des années 1980, l’asso a contribué à l’éclosion de plus de 3000 projets de développement grâce à une méthode que son dernier directeur, Michel Muro, rêve d’étendre aux autres massifs et aux quartiers déshérités des villes moyennes.
Vous avez passé ces 30 dernières années dans les Pyrénées à accompagner avec l’Adepfo des projets de développement. La question peut paraître étrange, mais elle mérite d’être posée en préambule : pourquoi développer les Pyrénées ? Parce que le meilleur moyen de pérenniser le réservoir de santé, de culture, de savoirs, de patrimoine et de liberté que constitue ce massif, c’est de maintenir la vie sur place et d’y développer harmonieusement l’activité.
Qu’entendez-vous par développement harmonieux ? Le contraire de ce à quoi on a parfois assisté dans les années 1960 et 70, avec d’un côté des espaces de protection stricts comme les Parcs nationaux, de l’autre le développement excessif de stations de montagne pour faire de l’argent. Or, ce n’est pas en transformant les Pyrénées en zoo qu’on les préservera. Et ce n’est pas en les développant à tous crins qu’on y installera des activités pérennes. Mieux vaut miser sur un développement intégré des territoires de montagne en conjuguant aménagement et biodiversité dans le cadre d’un développement écoresponsable.
Est-il possible de ménager à ce point la chèvre et le chou ? Bien sûr. À condition de prendre en compte en priorité le facteur humain. C’est précisément l’objet de l’Adepfo. Ce facteur humain est l’une des plus-values de sa méthode : la formation-développement.
De quoi s’agit-il ? C’est un géographe de l’université de Lyon, Maurice Allefresde, qui a inventé le concept. Les premières expériences d’accompagnement aux projets locaux ont été menées en Ardèche, puis la Commission européenne s’en est emparée pour des projets en Italie, en France et au Royaume-Uni. Ce n’est donc pas un dispositif purement pyrénéen ni même rural. Je rêverais même de l’étendre aux villes moyennes, à l’échelle d’un quartier. Je suis convaincu qu’elle y serait très efficace. Dans les Pyrénées, elle a trouvé un terrain propice et un promoteur de talent, Roger Barrau, à qui fut confiée la présidence de l’Adepfo en 1982 parce que le travail de développement qu’il menait en tant qu’élu dans son Haut-Couserans faisait référence.
1982, cela correspond à la décentralisation mitterrandienne. Les outils et les objectifs de ces années-là sont-ils toujours valables ? Ce qui est en question, ce ne sont ni les outils ni les objectifs mais l’espoir que cette décentralisation a fait naître. Jusqu’alors, les habitants des territoires demeurés à l’écart du développement n’avaient pas conscience de leur potentiel. La décentralisation, les radios libres et la valorisation du local ont permis à ces populations de croire en elles, de phosphorer et de se prendre en main. L’Adepfo a été créée pour accompagner ces initiatives de terrain.
Par quel moyen ? Elle accompagne le développement par des actions de formation, en s’appuyant sur les ressources locales. Plutôt que de se contenter de former des compétences, elle intègre la globalité du projet de l’individu et du territoire dans lequel il s’inscrit.
Concrètement ? En clair, elle permet d’aider tout ce qui bouge à condition que le projet ait un impact positif mesurable sur le territoire. Le meilleur moyen de réussir le développement, c’est de se caler sur les besoins réels et les aspirations véritables des territoires. En anglais, on appelle ça le bottom-up. Comme je suis du Mas-d’Azil et que mon accent n’est pas terrible, je préfère parler de maïeutique, cette méthode pédagogique au cœur de la philosophie de Socrate, qui désigne le fait d’accoucher des idées.
Quelques porteurs de projet et quelques pilotes éducatifs Adepfo. DR
Comment se passe l’accouchement ? Le porteur bénéficie de l’accompagnement d’un pilote éducatif qui offre compétence, soutien moral et complicité. C’est ce qui fait l’intérêt humain de ce dispositif. Quand j’accompagnais des porteurs de projet, il m’arrivait de ne pas fermer l’œil de la nuit de peur de me planter. Accompagner un projet c’est presque le faire sien. Derrière, il y a des familles, des habitants, des territoires. Et ces petits projets ont des effets dont on n’imagine pas l’importance quand on vit en ville. Un emploi créé dans les Pyrénées, c’est l’équivalent de dizaines et de dizaines d’emplois créés à Toulouse en terme d’impact positif sur la vie locale.
Comment s’assurer, dès lors, de faire le bon choix ? Le pilote éducatif de Adpefo analyse le marché et la concurrence, s’assure que le projet soit viable, identifie les besoins et trouve le formateur local adéquat. Le stagiaire accède donc par la formation au niveau de compétence dont il a besoin pour réaliser son projet. Dans le même temps, on met autour de la table les chambres consulaires, les banques, les élus, des chefs d’entreprise, des habitants, qui cherchent collectivement des solutions. On dispose avec ce comité de pilotage des outils, des infos et des soutiens que le porteur de projet ne pourrait pas obtenir seul. Cela permet de faire éclore et de financer des projets qui pourraient paraître farfelus vus de l’extérieur, mais qui satisfont un besoin réel.
Par exemple ? L’Adepfo a participé à Herran, en Haute-Garonne, à la création d’une double activité de bouilleur de cru / facteur d’instruments anciens. Sur le papier, ça paraît folklo, mais ça marche très bien, et cela engendre de l’activité dans le village. Autre exemple plus emblématique, la formation des gardiens de refuge. Jusqu’au milieu des années 1990, on envoyait des mecs dans les refuges sans aucune formation. Une fois sur place, ils se débrouillaient. Or le gardien de refuge remplit dans nos montagnes à la fois une fonction commerçante (vente de nuits et de repas) et une mission de service public. On a rationalisé le métier, formé les gardiens et créé un diplôme. Le dispositif a été transposé dans les Alpes, le diplôme est devenu européen… et le comité de pilotage se réunit encore aujourd’hui, 25 ans plus tard !
Dans quelle mesure les contraintes géographiques et climatiques des Pyrénées entravent-elles leur développement ? Il ne faut pas s’attarder sur ces contraintes. On a trop longtemps considéré que l’altitude, l’éloignement et les rigueurs du climat étaient des handicaps à compenser. C’est une erreur. Les Pyrénéens ne sont pas des handicapés. Ils ont des ressources naturelles, humaines et patrimoniales à faire valoir. Le développement harmonieux des Pyrénées passe par la valorisation de ces ressources, pas par la compensation de ces supposés « handicaps ». On imagine tout de même qu’on ne mène pas un projet entrepreneurial, commercial ou artisanal à 1500 mètres d’altitude comme on le fait dans la plaine du Lauragais ! La prise en compte de l’altitude, de la pente, des distances et du climat est effectivement indispensable. Cela implique de l’organisation, de la souplesse et des compétences multiples. Dans les Pyrénées, un maçon ne peut souvent travailler que six mois par an. Une fois que le froid et la neige s’installent, son activité s’arrête. Il exerce donc un autre métier l’hiver. L’enjeu, c’est de trouver sur place le job complémentaire. Un pisteur l’hiver qui travaille sur la côte l’été ne concourt pas efficacement au développement de la montagne. Mais s’il trouve une activité sur place été comme hiver, il fondera une famille, fera travailler les commerces et fréquentera les services publics. Le montagnard est fidèle à sa montagne, et il est souvent polycompétent !
Cela fait des Pyrénéens des entrepreneurs différents ?
Disons qu’ils ne font pas dans la demi-mesure. Ils sont engagés et opiniâtres… parfois jusqu’à l’excès. Jamais neutres, en tous cas. Ne cherchez pas un Pyrénéen indifférent. Ça n’existe pas.