Retards, absences, problèmes de comportements, difficultés scolaires : avant que le décrochage ne s’installe, l’Atelier Relais Osée des Apprentis d’Auteuil propose aux élèves une parenthèse d’un mois pour se remettre dans le bain de l’école. Une rupture au cours de laquelle les ados, en tout petit effectif, tentent de retrouver confiance à coup de Puissance 4 et de gâteaux au chocolat.
Quartier des Minimes, dans le bureau de Marie-Claude Vié, responsable de l’atelier relais Osée des Apprentis d’Auteuil. Comme chaque lundi, c’est le moment du bilan de la semaine précédente, en tête à tête avec chaque élève. Les fiches du PPJ, Parcours Personnalisé du Jeune sont posées sur la table de réunion. Avant le week-end, le vendredi, l’équipe éducative et l’élève ont parallèlement rempli cette grille très détaillée, visant à objectiver le travail et le comportement. Trois couleurs : vert, orange, rouge pour tenter de se situer. « L’analyse est réflexive : les jeunes apprennent à se regarder pour progresser, et surtout à accepter le désaccord », explique Marie-Claude Vié. Pendant les entretiens, Olivier Dupuy, l’éducateur spécialisé au physique de prof de sport, n’enlèvera pas sa doudoune. Comme s’il pouvait être appelé à tout moment. Trois coups timides à la porte. Le premier élève attend le signal pour entrer. Satisfaction partagée du duo éducatif : les réflexes sont acquis, on frappe avant d’entrer. La gouffa de Félicien* apparaît dans la lumière de ce joli matin d’automne. Sourire et « bonne tête » émergent du sweat à capuche. Il le sait, l’entretien est important. Les élèves accueillis par l’atelier relais Osée des Apprentis d’Auteuil sont là depuis deux semaines : il ne leur reste que deux semaines pour « raccrocher » avant de revenir dans leur établissement d’origine.
Une parenthèse de quatre semaines, donc, pour se remettre au travail, et modifier leur comportement : « C’est un dispositif de prévention, l’idée est d’agir avant que le décrochage scolaire ne s’installe. On se base sur certains signaux annonciateurs : retards, absences, problèmes de comportements à répétition », énumère Marie-Claude Vié. Au total, une trentaine d’établissements de la métropole toulousaine, publics comme privés, envoient régulièrement des élèves au bord de la rupture scolaire à l’atelier relaiss Osée : 12 adolescents peuvent être accueillis à chaque session d’un mois, six fois dans l’année. Certains le sont en urgence.
« Je veux travailler, j’en ai marre de l’école : je veux gagner de l’argent » - Rayan, collégien
« Il nous est arrivé de recevoir l’enfant et ses parents le vendredi, pour une rentrée le lundi suivant », signale la directrice. Tous les ados démarrent en même temps. Pour la cohésion du groupe, il n’y a pas d’intégration en cours de route. Certains élèves ont déjà été exclus de leur établissement, et n’en sont pas à leur coup d’essai. « Le décrochage scolaire touche tous les milieux, même s’il y a fatalement plus de familles en difficulté et que ce sont à 80 % des familles monoparentales. Les profils sont très différents mais il y a des points communs : souvent, on s’aperçoit qu’il y a des conflits dans la famille. Parfois, ces enfants sont en échec scolaire depuis longtemps. Certains peuvent présenter des troubles d’apprentissage (dyslexie, dyscalculie, etc) qui n’avaient pas été repérés, ni traités ». Au total, 5 % des parents déclarent leur enfant en décrochage scolaire : c’est-à-dire n’allant plus en cours ni en formation (Baromètre de l’éducation, sept 2021. Sondage Opinon Way pour les Apprentis d’Auteuil). À ce constat, la responsable de l’atelier relais ajoute : « Avant, on recevait souvent des adolescents qui avaient des problèmes de dépendance à l’alcool, au tabac, ou au cannabis. Aujourd’hui, la dépendance, ce serait plutôt les écrans, avec les problèmes de manque de sommeil que cela engendre. » Cela concerne sûrement Félicien, qui bâille sur sa chaise après que le chapelet de ses objectifs atteints ait été égrené. « 1 : venir tous les jours en cours, 2 : prendre des initiatives, 3 : dire quand je ne comprends pas ».
« C’est trop bien ici : on m’explique bien les choses » - Armand, collégien
Bilan positif pour Félicien. Les efforts sont soulignés par un « c’est agréable de travailler avec toi ». Le garçon prend le compliment en rosissant et balaie d’un « oui oui » la question de Marie-Claude Vié : « Est-ce que tu dors bien ? Car tu bâilles beaucoup… » Il repartira avec trois nouveaux objectifs : « Je suis au travail en classe », « Je dépasse mes difficultés pour progresser » et « Je reste assis correctement ». Félicien, en convient, l’air sérieux et concluant l’entretien : « C’est vrai : je me balance souvent sur ma chaise ».
L’envie du matin Au tour d’Armand, 14 ans, long comme une liane, qui, à peine assis, attaque directement depuis son K-Way bleu remonté jusqu’au menton : « Je sens que je fais des progrès en français et en maths, mais c’est vrai qu’avec les autres élèves c’est encore un peu chaud. Ces deux premières semaines ça a été dur, mais j’essaie de me calmer, de prendre les remarques à la rigolade. » Tous les indicateurs sont au vert. Olivier Dupuy note aussi : « Tu es très agréable. On apprécie tes prises d’initiatives ». Il prévient pourtant : « Mais attention, en effet, on sent que tu te fatigues vite, et il faut que tu arrives à te contrôler et à utiliser un langage correct. » Marie-Claude Vié clôture l’entretien en demandant à Armand ce qu’il veut faire plus tard. Il répond sans hésitation : « Militaire », puis ajoute : « Sinon j’ai un deuxième métier mais je préfère ne pas le dire ». On n’en saura pas plus. « On les aide à construire un début de projet d’avenir. La plupart ne savent pas du tout vers quoi se projeter », précise Marie-Claude Vié. D’autres ont les idées très claires. C’est le cas de Rayan, qui confie : « Moi je veux travailler, j’en ai marre de l’école : je veux gagner de l’argent. J’aide déjà mon père dans son restaurant, mais en vrai, je veux faire des vidéos de gameurs. » Un des objectifs de l’atelier relais est de maintenir le plus longtemps possible le lien avec l’école, au moins jusqu’à 16 ans. Et montrer aux élèves en quoi l’école est utile, même pour devenir youtubeur. « Souvent, Rayan est là à 7 heures du matin. Il arrive à l’atelier plein de bonne volonté, qui s’estompe au fur à mesure du contact avec ses camarades ». Olivier Dupuy souligne les progrès : « Il y a moins d’insultes ». Il conseille, pragmatique : « Utilise tout le vocabulaire que tu as ».
Bilan à l’attention de Rayan : « Il faut absolument que tu continues la journée avec ton envie du matin. » Pour l’heure, c’est la pause-récré, les entretiens individuels reprendront plus tard pour le reste des élèves. Au rez-de-chaussée, sur les murs du bureau de l’éducateur, la photo et le prénom de chaque ado. Très vite, pour que la greffe prenne, chacun doit être connu et reconnu. « Ils sont-là pour quatre semaines : on ne peut pas passer deux jours à se dire bonjour. Il faut tout de suite se mettre dans les apprentissages » clarifie Olivier Dupuy. Le matin, de 8h à 11h30, il y a français, maths, sciences, histoire-géo et les après-midis sont consacrés au sport et aux matières artistiques, jusqu’à 16h. Le vendredi après-midi est libéré, sauf si l’élève est arrivé en retard pendant la semaine. Auquel cas, il doit rattraper l’ensemble des minutes comptabilisées. Les jeunes doivent pouvoir tirer le meilleur parti de ces conditions d’études optimales pour raccrocher les wagons sur le plan scolaire. L’objectif de l’atelier relais est de les aider à reprendre confiance en eux, mais ils doivent aussi enterrer toute une série de « mauvais réflexes » : « Il faut 20 jours pour prendre de nouvelles habitudes », précise Olivier Dupuy. Surtout, le but est qu’ils ressortent apaisés de cette parenthèse. Pour cela, ils doivent se sentir très vite chez eux. Et ça n’est sûrement pas pour rien que l’atelier relais est installé dans une grande maison. Les pièces à vivre ont été transformées en salles de classe, la décoration est chaleureuse et cosy, entre mobilier scolaire et meubles du géant suédois. On entend les pigeons roucouler depuis l’église des Minimes et les balles de ping-pong siffler depuis le petit jardin qui fait office de cour de récré. On y retrouve Armand, Félicien et Rayan mais aussi Océane, Paulo*, Sophia*, Luis* et Ilian, éparpillés entre baby-foot, ping-pong, panier de basket : un vrai Club Med ! Deux jeunes femmes en service civique sont là, en support. Les ados jouent, rient, se chambrent. Les pigeons ne sont pas les seuls à roucouler. Olivier Dupuy, dont le bureau donne sur la cour, n’est jamais très loin, et vient bavarder avec les élèves. Il s’assied sur les marches avec son djembé. Disponible si nécessaire. L’atmosphère est conviviale, mais les écarts de langage sont systématiquement repris par l’éducateur dont la devise est : « Je dis ce que je fais et je fais ce que dis ». Illustration : « Une sanction ne tombe jamais par surprise, les ados sont prévenus en amont, et on leur fournit toujours une explication ». C’est la meilleure façon de chasser le sentiment d’injustice et d’arbitraire que ces jeunes portent souvent « en bandoulière » lorsqu’ils arrivent de leur collège respectif. Marie-Claude Vié précise : « On insiste aussi beaucoup pour les responsabiliser. Ils sont souvent dans le déni : ça n’est jamais de leur faute ». C’est ainsi que Rayan s’est vu refuser sa demande de changement de groupe ce matin, arguant que « les autres le poussaient à bavarder ». Olivier Dupuy le recadre : « C’est à toi d’écouter : tu y arrives très bien quand tu veux ». Marc Soucasse et Tom Chabaud, les deux profs de l’atelier relais profitent de la récré pour faire le point sur les différents « événements » de la matinée. La communication entre les membres de l’équipe est permanente. « Le réglage se fait au plus près », précise Olivier Dupuy tandis qu’il signale la fin de la récré.
« Balec et mille bornes » Les huit collégiens sont répartis entre les deux profs. On assiste au premier débordement de la journée, à l’étage, en cours d’histoire. Pourtant, avec un effectif de quatre élèves, les conditions sont idéales pour se mettre au travail. Mais ce n’est pas l’avis des ados agités. Malgré tout, la consigne est donnée : ils doivent chacun regarder une petite vidéo sur un grand personnage historique afin d’en faire une petite présentation. Le prof prévient dans un demi-sourire : « J’ai accès à l’historique de la tablette ». Mais le danger ne viendra pas d’un égarement en ligne. La mini-classe bougeotte dans tous les sens : Sophia fait l’andouille avec son casque, et répète en boucle « Catherine de Medellín » à la place de « Catherine de Médicis », son personnage. Océane a mal au ventre et chacun brigue le carton blanc, le précieux sésame, qui permet de sortir de la classe, pour se « recentrer » à l’extérieur, aux côté de l’éducateur. Sophia et son adorable sourire de jeune fille pétillante flirtant avec les limites prend le prof à partie au sujet de ses baskets. Une jolie mise à l’épreuve pour Tom Chabaud qui lui oppose un calme distant et bienveillant. C’est la première année d’enseignement pour le jeune professeur, mais la posture d’autorité est bien campée. Finalement, la situation se lisse, rendant possible l’évocation de grands destins : Louis XIV, Léonard de Vinci, ou Charles Quint. Ilian finit par se montrer incollable sur François 1er. En bas, en maths, Luis a pris le relais du prof : il explique les médianes à Félicien, sous le regard encourageant de Marc Soucasse. Sur l’autre partie du tableau, on retrouve Armand et son K-Way, transpirant sur les pourcentages.
Au mur, une série de messages alerte de façon grinçante : « Chaque fois que tu écris : 2 + 5x = 7x, un chaton meurt. Dites-non au génocide ! » Humour, connivence et fermeté constituent la stratégie de ce prof de maths aguerri qui prône la pédagogie de la relation et qui a longtemps enseigné la technologie en lycée pro. Le jeune Armand qui a fini son tableau de pourcentages confie : « C’est trop bien ici : on m’explique bien les choses. Au collège, je comprends rien. Là, les profs sont plus patients : ils prennent le temps. Et puis, ici, ils veulent QUE notre bien ». Marc Soucasse commente : « Le niveau des élèves est très hétérogène, mais on s’adapte pour reprendre les bases. C’est possible parce qu’ils ne sont pas nombreux ». Il vante l’efficacité du tutorat entre élèves, qui a l’avantage de valoriser les réussites. De l’attention, du temps, et un nombre d’adultes conséquent. La bonne formule pour prévenir les conflits et les mettre à plat : Olivier Dupuy est là en support des profs toute la journée et son bureau sert de zone de décompression. « Le grand luxe » se dirait la plupart des désabusés de l’Éducation nationale.
11h30. Pause-déjeuner : les ados font un aller-retour express dans l’établissement voisin de la Sainte-Famille, le temps de gober bruyamment des spaghettis et de se faire remarquer par quelques « balec » vite contenus par leurs encadrants. Retour à l’atelier relais : ils ont une heure et demie pour souffler, tranquilles. Les adultes ne sont jamais très loin, toujours accessibles : « On fait avec eux des jeux de société comme le puissance 4, ou le mille bornes, mais finalement on se rend compte qu’ils n’ont pas l’habitude de se poser pour jouer » raconte Marie-Claude Vié. En début d’après-midi, ce sera atelier rap pour une partie du groupe. Ilian, au micro, y enregistrera le texte qu’il a écrit avec son père. On frémit un peu à l’écoute des paroles. Pour les autres, un petit temps d’échange avec le prof de maths, pour commencer à préciser leur projet d’avenir. Sophia y affirmera sa motivation pour travailler dans l’esthétique. Pour le moment, les garçons s’affairent dans la petite cuisine, charlotte sur la tête et tablier autour des hanches. L’odeur du gâteau au chocolat se répand dans l’atelier relais. On resterait bien pour le goûter.
« L’école a toujours été un peu compliquée pour moi : je ne me concentre pas, je parle. Je peux avoir du mal avec l’autorité. Ça fait depuis la petite enfance que j’ai des difficultés. Mais là j’ai compris un peu mieux qui j’étais, je me sens mieux dans mes baskets. Je sens que je retrouve l’envie de travailler, l’envie de respecter. Plus tard, je veux avoir des enfants et puis voyager : je veux aller à Nice, à Marseille et à Dubaï » Océane, 15 ans.
Pauline, deux ans de décrochage scolaire
Pauline, 15 ans, est passée deux fois à l’atelier relais des Apprentis d’Auteuil l’année dernière. Elle n’allait plus au collège depuis deux ans : « En quatrième, c’est devenu impossible pour moi d’aller en cours, j’avais des crises d’angoisse ». Sa mère explique : « Même si elle avait des difficultés scolaires (elle est dyslexique), elle avait toujours réussi à les surmonter. Mais cette année-là, elle a totalement perdu confiance en elle. Son cerveau se bloquait, elle ne comprenait plus rien : ça a été l’engrenage de la dépression. Il y a eu aussi quelques petites phrases de profs qui l’ont détruite. Heureusement, elle a été bien suivie et on nous a proposé les ateliers-relais, où elle a retrouvé l’estime d’elle-même ». Pauline précise : « J’ai trouvé des profs à l’écoute, j’ai même tenté de passer le brevet. Grâce à eux, je suis au CFA vente de Blagnac. Ça me plaît, j’ai des cours et je fais mon apprentissage dans une boulangerie. Je préfère ça que de rester assise sur une chaise pendant six ou sept heures ! » Et sa mère de compléter : « On la voit se lever le matin, sourire et le soir rentrer en racontant sa journée : on revit ! »
(*) Certains prénoms ont été modifiés