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Sébastien Vaissière

Attention, fragiles – Aurélien Pradié

Dernière mise à jour : 14 févr.

Le député LR du Lot Aurélien Pradié multiplie à l’Assemblée les interventions et les propositions de loi sur le handicap et la dépendance. Considérant que l’attention portée aux plus fragiles est l’ADN de la droite, il puise dans l’héritage politique de Chirac, de Gaulle et Pompidou un idéal avec lequel il entend remettre la dignité au coeur des préoccupations… et coiffer Éric Ciotti au poteau dans la course à la présidence de son parti.



Aurélien Pradié, vous êtes l’un des députés les plus actifs à l’Assemblée sur le handicap, les violences faites aux femmes et la dépendance. Pourquoi cette inclination pour ces questions ? D’abord parce qu’elles touchent à la perte de dignité, qui devrait être la préoccupation majeure du politique. Ensuite parce qu’elles sont l’ADN de la droite républicaine, même si certains l’ont oublié.


En quoi le politique néglige-t-il la dignité des individus ? Dernier exemple en date : avant l’été, on a débattu du chèque alimentaire. Je m’y suis opposé précisément pour des raisons de perte de dignité. La réalité du chèque alimentaire, c’est qu’à la caisse du magasin, devant tout le monde, vous allez sortir un chèque qui dévoilera votre situation. Et ça, c’est pas du tout un détail. Quand j’ai avancé cet argument, on m’a regardé avec des yeux de merlan frit. On m’a dit « Quand même, c’est 100 euros ! », comme si la dignité valait 100 balles. La plupart des politiques ne voient que le montant du chèque. La dimension humaine leur échappe. Elle est pourtant essentielle à la politique.


En quoi les questions sociales sont-elles l’ADN de la droite ? Elles en sont les piliers. Il y a quelques années, quand je le disais à mes petits camarades des Républicains pour leur rappeler que la droite républicaine ce n’est pas que la préoccupation identitaire, ils prétendaient que je m’égarais, que jamais ces sujets n’avaient été au cœur de l’action de notre famille politique. On peut contester ce que dit un blanc-bec comme moi, mais il est plus difficile de contester les faits. Je me suis donc plongé dans l’histoire de notre courant. J’ai trouvé chez de Gaulle, Pompidou et Chirac des politiques très engagées en matière sociale, en particulier sur le handicap et la protection des femmes. Preuve que c’est l’ADN profond de la droite républicaine. Bien plus que ne l’est la question identitaire.


À Toulouse avec Laurence Arribagé, Pierre Esplugas et François-Xavier Bellamy, lors de la campagne des régionales 2021
À Toulouse avec Laurence Arribagé, Pierre Esplugas et François-Xavier Bellamy, lors de la campagne des régionales 2021. © Rémi BENOIT

Les débats identitaires à droite semblent vous crisper…  J’ai, avec certains à droite, une divergence importante dans l’analyse de la société. Ils pensent que la principale insécurité dont souffrent nos concitoyens est identitaire. Moi je suis convaincu que ce qui pèse le plus lourdement sur eux c’est la peur de la fragilité et la perte de dignité. Pour l’instant les faits électoraux me donnent raison. Si l’insécurité identitaire était le sujet le plus épidermique dans notre pays, Zemmour aurait fait 40 %. Quand je mène un combat à l’Assemblée sur le handicap à l’école ou sur l’allocation adulte handicapé, mes collègues voient bien que ces débats passionnent les Français. Beaucoup plus que lorsqu’on débat des quotas d’immigration. La droite identitaire n’a pas d’avenir. Il y a d’autres priorités.


Lesquelles ? Les 10 millions de pauvres en France, dont une grande partie qui travaillent et voudraient retrouver leur dignité. Il y a aussi ces blessures physiques et morales quotidiennes qui atteignent la dignité des Français et qu’on a collectivement négligées ces dernières années : les violences faites aux enfants, aux femmes, le déclassement, et bien entendu le handicap. Qui osera dire que ce ne sont pas des combats pour la droite républicaine ? On a 15 ans de retard à rattraper sur ces questions.


15 ans, c’est l’âge de la troisième loi handicap de Jacques Chirac pénalisant les entreprises ne respectant pas le quota de 6 % de salariés handicapés, et créant les maisons départementales pour personnes handicapées. A-t-on progressé depuis ? Il y a eu des progrès, mais on n’aurait pas le courage de porter cette loi aujourd’hui. On considèrerait que c’est trop compliqué à mettre en œuvre techniquement. Cela signifie que d’une certaine manière, depuis, on a reculé. Ce que je retiens de cette loi, c’est son esprit et son humanité. J’ai relu récemment le discours de Chirac. Je m’attendais à un discours technique sur la création des maisons départementales des personnes handicapées, l’allocation adulte handicapé etc. Rien de tout cela. Rien de technique. Il parle de la place à accorder au plus petit, de notre devoir moral et républicain à l’égard des plus fragiles. C’est la démonstration que le sujet de la fragilité peut tracer un idéal et un cap politique.


Quel est selon vous, dans ce cap politique, l’urgence absolue ? L’école. Elle échoue sur le sujet du handicap. On fait de l’inclusion une priorité, on en parle beaucoup, mais on sur-spécialise l’accompagnement des enfants handicapés. Ce que je veux demain, c’est que dans nos écoles, ces gamins vivent au milieu des autres, quelle que soit leur différence. C’est un chantier fondamental. Il y a ensuite des réglages à faire sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé et sur les délais d’instruction des demandes, qui sont invraisemblables aujourd’hui.

Certains pays sont-ils parvenus à rendre l’école plus accueillante pour les enfants handicapés ? L’Italie a fermé tous les établissements spécialisés en l’espace de quelques années. Certes, c’est allé trop vite et il y a eu des dégâts considérables, mais ils ont mis les pieds dans le plat. Ils ont réduit le nombre d’élèves dans les classes accueillant des enfants en situation de handicap, créé des équipes médico-sociales mobiles qui interviennent quotidiennement dans les écoles, et ont ouvert l’école à des professionnels autres que ceux de l’Éducation nationale. Il faudra mener cette révolution culturelle en France de façon un peu moins rapide et radicale, parce qu’elle a laissé en Italie des gamins au bord du chemin.


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Aurélien Pradié à Toulouse au cours de la campagne des régionales en 2021. © Rémi BENOIT

Quels sont les blocages principaux en matière de politiques du handicap. Les structures, l’humain, les moyens financiers ? Les blocages sont surtout techniques. Bien sûr que la prise en compte du handicap coûte cher, mais si la société était capable techniquement d’accompagner le handicap, on n’aurait pas les problèmes qu’on rencontre aujourd’hui. La question des personnes fragiles est un des sujets pour lesquels la question du financement n’est pas cruciale. Vous semblez tenir à l’adjectif fragile… Je m’y intéresse comme à tous les mots qui ont tendance à disparaître. Retrouver des mots et des sens perdus, c’est une manière d’attirer l’attention sur les sujets importants. Employer des mots qu’on n’utilise plus, c’est une arme efficace en politique : on entend mieux ce qu’on n’entend pas souvent.


Quelles vertus trouvez-vous au mot fragile ? On ne dit plus de quelqu’un qu’il est fragile. On n’ose plus. Il n’y a pourtant rien d’humiliant à se trouver dans une situation de fragilité. Dans notre société, les personnes fragiles sont nombreuses. Pourtant, le mot qui les qualifie disparaît du discours. Il y a toujours une raison à la disparition des mots. Généralement, on les remplace par des euphémismes qui masquent l’inaction. Plutôt que de situation de fragilité, on parle de précarité. Le débat public est rempli de ces euphémismes. Moi, ils me fatiguent.


Des exemples ? Résilience me fatigue. Inclusion me fatigue. La société inclusive, la république inclusive, l’école inclusive… Des tartes à la crème désespérantes… Quand j’entends quelqu’un d’intelligent prononcer « résilience » et « inclusif » dans une même phrase, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est un con. C’est un problème, je le concède, mais c’est malgré moi. Ce n’est pourtant pas un détail. La politique, ça commence par le sens des mots. Avant de travailler la question du handicap, vous l’avez éprouvée au contact de votre père, privé de la parole et de l’usage de ses membres par un accident vasculaire survenu lorsque vous étiez adolescent. Cette épreuve familiale guide-t-elle votre engagement politique ? Je ne crois pas tenir ce tropisme de mon expérience personnelle. Je me suis par exemple beaucoup occupé du handicap des enfants alors que je ne suis pas touché personnellement. Le handicap des enfants n’a rien à voir avec celui d’un père qui devient handicapé à 50 ans.


Ne légifère-t-on pas mieux quand on a vécu la situation sur laquelle on légifère ? En 2019, quand j’ai conduit les missions d’évaluation sur les droits fondamentaux des personnes sous tutelle et sous curatelle, le fait d’avoir vécu cette situation m’a peut-être permis de mieux savoir de quoi je parlais, mais rien de plus. Je me méfie des expériences et des situations personnelles en politique. Je trouve détestables les députés qui, au cours des débats, parlent de leur vie personnelle. Même chose pour ceux qui, pour appuyer leurs propos, citent un exemple rencontré dans leur circonscription… Les personnes en situation de handicap n’attendent pas qu’on parle d’elles pour régler leur cas personnel. Elles veulent améliorer la société tout entière, et poursuivent, comme tout le monde, un idéal collectif.

 

Aurélien Pradié

1986 : naissance à Cahors 2017 : 1er mandat de député 2019 : secrétaire national des Républicains 2018 : proposition de loi sur l’intégration des enfants handicapés à l’école 2019 : proposition de loi contre les violences familiales 2021 : candidat LR aux régionales 07/22 : proposition de loi visant à plus de justice pour les personnes handicapées 09/22 : candidat à la présidence des Républicains

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