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Axelle SZCYGIEL

Aventurière du climat – Emilie Kim-Foo

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Comment le corps et l’esprit s’adaptent-ils au changement climatique ? Quels mécanismes conduisent à la modification de nos comportements ? Pour le savoir, Émilie Kim-Foo, une infirmière toulousaine, a suivi l’explorateur Christian Clot et 18 autres volontaires autour du monde, dans une série d’expéditions en milieux extrêmes.



Que feriez-vous après 40 jours de trek dans le désert, sous des températures dépassant allègrement les 45°C à l’ombre ? Sans doute brûler vos chaussures de marche pour être certain de ne plus jamais vivre un tel enfer ! Émilie Kim-Foo, infirmière toulousaine de 31 ans, les a pourtant relacés dès le lendemain pour partir explorer les alentours de Jubbah, oasis située en plein cœur du désert saoudien. Nous sommes fin juin, il est 17 heures. Le thermomètre frise encore les 40°C à l’ombre. Avec 18 autres volontaires issus de la société civile, elle s’est lancée voilà 7 ans dans Deep Climate. Une opération imaginée par l’explorateur Christian Clot, directeur général du Human Adaptation Institute, un institut pluridisciplinaire privé de « recherche-action et d’adaptation au changement ».


Photo de groupe. / ©M. SAUMET / H.A.
Photo de groupe. / ©M. SAUMET / H.A.


Les participants se sont ainsi immergés en totale autonomie dans trois des milieux les plus hostiles de la planète pendant 20 à 40 jours. D’abord la Guyane (35°C, 98 % d’humidité) fin 2022, puis la Laponie au printemps 2023 (- 40°C) et l’Arabie Saoudite (45°C), donc, en mai et juin derniers. Au cours de ces expéditions, l’adaptation des corps et des cerveaux a été passée au crible d’un protocole scientifique conçu par une quarantaine de scientifiques. 


« J’étais curieuse de découvrir comment mon corps allait réagir à l’extrême chaleur du désert, confie Émilie, installée à l’ombre d’un tarp de bivouac, une tasse de thé à la main pour s’hydrater en permanence. La chaleur nous a obligé à nous arrêter chaque jour entre 10h et 17h, et ce rythme ne m’a pas vraiment convenu. Hormis trois jours de chaleur insupportable, tout s’est bien passé ».


Sous nos latitudes non plus, l’adaptation à la nouvelle donne climatique ne sera pas non plus une partie de plaisir. Mieux comprendre les mécanismes en œuvre et « servir une cause plus grande » qu’elle, c’est précisément les aspects du projet qui ont séduit Émilie Kim-Foo lorsqu’elle a découvert l’appel à candidatures en 2016. « Je cherchais aussi l’aventure, le voyage, des milieux reculés, extrêmes, sans touriste », reconnaît-elle. Après avoir décroché son billet, cette Réunionnaise a décidé de s’installer dans la Ville rose. « À compter de ce moment-là, je me suis entièrement tournée vers l’expédition, plus rien d’autre n’a compté. » La jeune infirmière s’est notamment lancée dans l’intérim pour gagner en souplesse dans son planning, et a mis entre parenthèses le trail – qu’elle pratiquait avec passion – ainsi que sa vie familiale et amicale.


« L’émerveillement est l’une des clés majeures de nos capacités adaptatives » - Christian Clot, explorateur à la tête du Human Adaptation Institute

« Émilie vit les choses intensément, explique son frère Jody, qui l’a rejointe à Toulouse durant sa préparation. Quand elle veut quelque chose, elle n’hésite pas à faire des sacrifices. » 


© LUCAS SANTUCCI HUMAN ADAPTATION INSTITUTE
© LUCAS SANTUCCI HUMAN ADAPTATION INSTITUTE

Pendant de longs mois, elle s’est entraînée d’arrache-pied pour être en forme physiquement et mentalement, et a participé à plusieurs week-ends intenses de mise en condition, dans les Pyrénées entre autres, avec ses comparses « climatonautes ». De quoi créer des liens forts au sein du groupe et permettre à chacun d’acquérir les techniques indispensables à leur survie dans chaque milieu. « Je n’avais jamais fait de ski de ma vie, confie Émilie. Je partais de zéro ! »


En 2020, après déjà plusieurs reports, tous étaient finalement prêts au départ… jusqu’à ce que le Covid des frontières. Christian Clot imagine alors une autre expérience en France, qui deviendra un baptême du feu pour les participants et un rodage pour les protocoles scientifiques. Nom de code : Deep Time. « Nous avons passé 40 jours dans la grotte de Lombrives en Ariège, sans lumière ni indicateur temporel, explique Émilie. Cette expérience a été pour moi une grosse claque ! » Deux ans plus tard, la troupe entame finalement son immersion dans la jungle guyanaise, premier volet de l’expédition Deep Climate. « J’étais dans mon élément. Il y avait une faune incroyable, une ambiance sonore magique… » Une aisance sur laquelle s’est notamment appuyée Mathilde Clémont, l’une de ces coéquipières. « Émilie a été ma personne ressource, celle vers qui j’ai pu me tourner quand j’en avais besoin, notamment dans cet environnement, confie la jeune femme, responsable marketing pour une association œuvrant à la promotion de l’agroécologie. Elle m’a aidé à lâcher prise et à profiter pleinement de la nature. » Changement de décor et d’humeur quelques mois plus tard, dans les décors givrés de Laponie. 


« C’est le milieu qui me faisait le plus peur. Et il a été effectivement redoutable. Le froid fait mal et rend toutes les manipulations compliquées. Mais le pire pour moi a été de tirer une pulka (un traîneau de transport ndlr) sur une dizaine de kilomètres chaque jour, en ski de randonnée. Je n’avais pas la bonne technique, c’était dur. Il n’y avait rien dans ce milieu qui parvenait à m’aider ou à m’apaiser : tout était plat et blanc, ultra-monotone ». 


À l’inverse, sa coéquipière Marie-Caroline Lagache, joaillière de 52 ans, a été subjuguée par la beauté des paysages. De quoi rendre son périple bien plus supportable : « L’émerveillement est l’une des clés majeures de nos capacités adaptatives, confirme Christian Clot. C’est ce qui peut nous aider à dépasser les contraintes pour nous projeter dans un futur possible et faire évoluer nos comportements. » Pour Émilie, en Laponie, c’est le groupe qui lui aura permis de tenir jusqu’au bout : « Sans eux, j’aurais abandonné, je leur dois tout ! Mais je dois reconnaître que cela a été vraiment difficile de demander de l’aide… » 


Cette expérience aura permis à chacun d’apprendre sur soi et de revenir à l’essentiel. Mais à ce stade, le retour à la vie réelle l’inquiète. « Chaque fois, c’était un supplice. Je me suis enfermée et ne voulait voir personne pendant des jours… Le monde va à 2000 à l’heure, on gaspille… je ne supporte plus et j’ai la sensation d’être complètement décalée ! » 


Mais à l’issue de leur longue marche dans le désert, il a bien fallu rentrer. Et pour de bon cette fois. Cet été, Émilie s’est octroyée le « sas de décompression » dont elle avait besoin, avec une semaine de canyoning dans les Pyrénées suivie d’un long road-trip à moto. « Je suis soulagée que Deep Climate soit terminé mais je suis aujourd’hui dans une profonde indécision. Qu’est-ce qu’on fait après ça ? »


Christian Clot se veut confiant : « Je suis convaincu qu’elle va faire une énorme évolution personnelle. Il faut sortir complètement du projet et prendre le recul nécessaire pour comprendre l’impact qu’un tel projet peut avoir sur sa vie. » L’aventure, finalement, ne fait que commencer. 


 

Corps et cerveau passés au crible

Durant chacune des expéditions, les climatonautes ont mesuré régulièrement leurs constantes (température, fréquence cardiaque, rythme de sommeil…) et se sont pliés à une batterie de questionnaires et de tests cognitifs. Même l’inconscient et la dynamique de groupe ont été savamment scrutés. Ils ont en outre été soumis, avant et après chaque mission, à une série d’IRM à l’Institut du cerveau, à Paris. L’ensemble de ces dispositifs a permis d’engranger des données sur la mémoire, le sommeil, les mouvements, la cognition, la dextérité, le microbiote ou l’épigénétique. Reste à trier et analyser chaque paramètre de manière isolée puis en commun, pour en déduire les facteurs qui permettent l’adaptation d’un individu à un nouvel environnement.

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