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Sébastien Vaissière

Mostafa Fourar : cas d’école

Dernière mise à jour : 12 janv.

Né dans un quartier où l’horizon des enfants s’arrêtait au CM2, Mostafa Fourar  est aujourd’hui recteur de l’académie de Toulouse. Entre les deux, de l’effort, et des rencontres qui changent la vie. Ce docteur en mécanique des fluides nous en fait le récit dans cette conversation, en convoquant Michel Strogoff, un père taiseux, une mère inquiète, des touristes de Dijon, des prix Nobel croisés à la cantine, un vigneron de Fronton, une voisine de pallier, et même Dominique Baudis.



Mostafa Fourar, les progrès de l’intelligence artificielle dominent l’actualité. Les applications infinies de chatGPT, notamment, fascinent les profs et les inquiètent. Qu’en pensez-vous ? Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui pose problème, mais l’usage qu’on en fait. Pour ma part, j’y vois surtout des opportunités.


Lesquelles ? Deux exemples dans notre académie. Une expérimentation toulousaine d’abord : on a distribué à des élèves des tablettes équipées d’une application conçue par une startup toulousaine. L’application définit le niveau de l’élève et adapte la difficulté des exercices qu’elle lui propose. Il progresse donc à son rythme, et reste autonome. C’est un levier très intéressant pour individualiser l’enseignement.


Autre exemple ? J’ai visité une classe avec un robot piloté à distance par un enfant tétraplégique. Les jours où sa santé ne lui permet pas de se déplacer, il suit les cours par l’intermédiaire du robot. C’est bluffant de voir à quoi ressemble cette classe, avec ce robot qui évolue parmi les élèves comme s’il était réellement leur camarade.


Et vous, à quoi ressemblait l’école de votre enfance ? À une école marocaine comme les autres. J’ai grandi à Kénitra, un petit port de marchandises dont l’origine remonte aux Phéniciens. Aujourd’hui, c’est une cité dortoir de Rabat. Mon père était venu y trouver du travail. Il avait fui la sécheresse de Fourar, son village natal, au nord d’Essaouira. À Kénitra, il travaillait comme manutentionnaire sur le port. C’est là qu’il a rencontré ma mère. Elle était veuve et mère de trois enfants. Ils ont fondé une nouvelle famille. Autant dire que pour moi, la famille recomposée est une chose naturelle.


Quel genre d’élève étiez-vous ? J’aimais beaucoup l’école. Sur les neuf enfants de la famille, je suis le seul à avoir dépassé le CM2. J’aimais travailler. J’aimais les professeurs engagés, sincères. Quand je détectais de l’imposture ou un manque d’exigence, je pouvais être impertinent. Je voulais apprendre pour m’en sortir !


Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse
Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse. Photo Rémi Benoit

Vous avez identifié tout de suite l’école comme un moyen de changer de condition ? Dans mon quartier, il y avait deux façons de réussir : le football ou l’école. Ceux qui s’en sortaient par le foot étaient les plus nombreux. L’horizon, c’était le CM2. Le bac, c’était l’exception. J’ai été l’un des rares de mon quartier à avoir le bac. J’y suis arrivé grâce à l’école, mais pas seulement. J’avais soif de tout, envie de tout découvrir parce que je n’avais pas grand chose chez moi. Le reste, je suis allé le chercher à la Maison des Jeunes et au Centre culturel français.


Qu’y avez-vous appris ? Les échecs, le handball, le cinéma… J’étais très attiré par le ciné-club du Centre culturel, par les films qu’on y projetait et par les débats qu’on y suivait. C’est pour cela que dans l’exercice de ma mission aujourd’hui, j’accorde beaucoup d’importance aux partenariats entre l’Éducation nationale et les associations, les clubs sportifs, et même les entreprises. Pour qu’un enfant réussisse, il faut lui montrer un maximum de choses, et l’exposer à des rencontres qui changent la vie.


Quelle sont celles qui ont changé la vôtre ? Elle sont nombreuses. La première, c’est Bernard Rotond, mon professeur de mathématiques. Il avait la gueule de Michel Strogoff dans la série télé. Un charisme énorme, et une grande sensibilité sociale. Il était proche de nous, les enfants défavorisés. Il se sentait missionné pour aider des élèves comme moi à s’en sortir. Quand vous avez un professeur qui vous marque à ce point… cela conditionne votre orientation. Il m’a fait aimer les mathématiques. C’est ce qui a fait que finalement, je me suis orienté vers la physique, puis vers la mécanique des fluides.


Avez-vous eu l’occasion de lui témoigner votre reconnaissance ? Des années plus tard, quand j’étais maître de conférences à l’école des Mines de Nancy, je l’ai aperçu dans la file d’attente à la cafétéria. Je n’en revenais pas ! Je lui ai raconté l’idée qu’on se faisait de lui, et le rôle qu’il a joué pour nous. Il était ému. Il semblait fier qu’un des élèves qu’il avait eu en classe dans des conditions difficiles, soit devenu maître de conférences dans une école prestigieuse.


De quel œil vos parents voyaient-ils votre réussite scolaire? Ils ne comprenaient pas. J’aimais tellement la physique et les mathématiques que je faisais d’une traite tous les exercices du chapitre avant d’arriver en classe. Ça leur paraissait étrange. En terminale, je bossais tellement que ma mère me conseillait de réduire la cadence. Elle disait, « Tu sais, le bac, on ne l’a jamais du premier coup »…


Et votre père ? Je n’ai vraiment eu de conversation avec lui qu’après son décès. Un dialogue post-mortem. Ça ne l’a pas empêché de me transmettre, sans baratin, la valeur la plus importante : le travail. Il partait tôt le matin et rentrait tard le soir. Je n’ai aucun don. Tout ce que j’ai, je l’ai obtenu par le travail.


Comment êtes-vous arrivé en France ? J’ai mûri ce projet l’année de la terminale. La France, c’était la promesse d’une nouvelle vie. L’ambassade octroyait à l’époque des dossiers de préinscription pour les trois premiers de la classe. J’ai rempli mon dossier, et j’ai choisi Dijon.


Pourquoi Dijon ? J’avais rencontré des touristes dijonnais. Ce qu’ils m’avaient dit de leur ville m’avait plu. Si j’avais réfléchi, moi qui ai grandi au bord de la mer, j’aurais choisi une ville côtière.


Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée ? Je suis arrivé à la gare après trois jours de voyage. Il était minuit. Je n’avais aucun point de chute. Le choc thermique était vertigineux. Je me suis aventuré jusqu’à la place, mais il y avait trop de lumière. Ça klaxonnait, les gens allaient en boîte. Je ne me sentais pas en sécurité. Je suis revenu dormir à la gare.


Comment avez-vous financé cette première année d’études ? Mes parents m’ont aidé pour le billet de train. Pour le reste, j’avais une bourse marocaine qui ne m’a été versée que trois mois plus tard. Pour tenir jusque-là, j’ai fait les vendanges, à Beaune. Comme le Crous n’hébergeait pas les étudiants étrangers de première année, j’ai partagé illégalement une chambre en cité U avec un copain marocain. Les choses se sont améliorées ensuite.


Vous aimiez cette vie d’étudiant ? Pour moi, c’était le paradis. En particulier la qualité de l’enseignement et des équipements universitaires. Ce qui me frappait aussi, c’était la solidarité entre les étudiants. Le campus était une auberge espagnole XXL. Pour les livres, les trajets, la nourriture, on se prêtait tout, et on ne manquait de rien. Je me souviens de cette voisine de pallier qui a payé pour moi la chambre du Crous un mois où je n’avais pas d’argent. J’ai renvoyé l’ascenseur plus tard. Je n’ai jamais été aussi heureux qu’en ce temps-là.


Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse
Photo: Rémi benoit

Pourquoi avoir quitté Dijon pour Toulouse ? La première fois que je suis passé par Toulouse, c’était au retour de vacances d’été au Maroc. Comme il fallait que je gagne un peu d’argent avant la rentrée, je me suis arrêté à Fronton pour les vendanges. C’est le vigneron chez qui je travaillais qui m’a conduit à Toulouse en 4L. La ville était belle et rayonnante. C’était en septembre, il faisait chaud. Je me suis promis de revenir. Un an plus tard, j’étais à Paul-Sabatier en licence, puis à l’ENSEEIHT, pour un doctorat en mécanique des fluides, discipline qui m’attirait beaucoup.


Qu’a-t-elle de si attirant ? La mécanique des fluides ne concerne pas que les liquides et les gaz. Elle permet aussi de modéliser un écoulement de grain ou le mouvement d’une foule. Elle est partout : dans l’industrie, la nature, la vie de tous les jours. Formaliser ces principes physiques par une formule mathématique, je ne connais rien de plus beau. Et puis cette discipline a changé ma vie sous l’impulsion de mon directeur de thèse Serge Bories, qui m’a trouvé un financement et m’a mis en contact avec Roland Lenormand, une grosse pointure de l’Institut français du pétrole, qui m’a, à son tour, ouvert les portes de Berkeley…


Étudier à Berkeley quelques années après l’épisode de la gare de Dijon, voilà qui ressemble à un aboutissement… Je l’ai plutôt vécu comme un retour au bas de l’échelle. Dans une université où l’on croise des prix Nobel à la cantine, on se sent tout petit. J’étais émerveillé par cette concentration de personnes bien câblées. Auprès d’elles, vous apprenez en permanence. Jamais de temps mort. Les Américains n’ont pas d’états d’âme. Ils font venir les meilleurs, ils leur donnent les meilleures conditions de travail, et ils récupèrent les meilleurs résultats.


Quand avez-vous commencé à enseigner ? J’ai fait mes premiers pas en école d’ingénieur, comme assistant de Serge Bories. Ce fut déterminant pour moi. Bien qu’avec mon diplôme, il m’aurait été facile de trouver du travail dans l’aéronautique, j’ai préféré enseigner. À ce stade de ma vie, transmettre s’est imposé à moi comme une évidence. J’ai déménagé à Nancy pour un poste de maître de conférences à l’école des Mines.


Est-il difficile d’enseigner si jeune à des étudiants de ce niveau? Le faible écart d’âge n’est effectivement pas un avantage. Surtout devant 150 élèves ingénieurs bien formés et performants ! J’étais toutefois très à l’aise, en particulier du fait de la pédagogie particulière de cette école.


Quel en est le principe ? La pédagogie Schwartz, du nom du directeur de l’École des Mines en 1968. Son enseignement consistait à répondre aux questions des élèves à qui on distribuait le cours à l’avance. Ils peuvent préparer leur cours, poser des questions, et s’ils n’ont pas de question, on les retrouve en petits groupes de travail.


Quel intérêt ? On développe chez les élèves le sens du travail collaboratif, après des années de classe prépa qui favorisent les démarches individualistes. Or, dans le monde du travail, les ingénieurs travaillent en équipe. Cette méthode Schwartz m’a toujours inspiré.

Pourquoi, dès lors, ne pas être resté enseignant ? Le directeur de l’école des Mines m’a confié la création d’un département énergie. Ma première expérience de direction d’équipe, et de création de méthodologie. Une aventure qui m’a donné envie de poursuivre dans ce genre de projets. J’ai postulé aux Arts et Métiers de Châlons-en-Champagne, la plus ancienne école d’ingénieurs de France. J’y étais bien, et j’y serai resté cinq ans comme prévu, s’il n’y avait pas eu ce coup de fil.


Quel coup de fil ? Celui du cabinet du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Xavier Darcos : « On cherche à renouveler le vivier des recteurs. On nous a recommandé votre profil. Est ce que ça vous intéresse ? »


Votre réaction? Je ne savais rien du rôle d’un recteur. J’ai dit oui par curiosité. Puis j’ai découvert la mission, et je l’ai trouvée noble. On m’a demandé si j’étais en phase avec les orientations du ministère. Pour le secondaire, je n’en savais rien, mais je partageais celles de Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, en matière d’indépendance des universités.


Comment ça se passe, le recrutement d’un recteur ? On enchaîne les entretiens. C’est très cordial. En sortant de chacun des rendez-vous, on ne sait pas s’il y en aura d’autres. On ne vous dit rien. On ne sait ni quand, ni où. Et puis un jour, coup de fil : « Vous êtes le nouveau recteur de la Réunion. » J’ai passé quatre ans sur place.


Qu’y avez-vous appris ? À écouter. Pas forcément à répondre à toutes les questions, mais à écouter. J’ai découvert une île en grande difficulté sociale, surtout en milieu créolophone. J’ai tenté de prendre en compte les spécificités locales, de développer des classes passerelles pour les enfants issus de milieux défavorisés qui ne maîtrisent pas le langage, j’ai créé une classe préparatoire intégrée, sur des critères sociaux et d’excellence, en lien avec l’Institut National Polytechnique de Toulouse, Grenoble, Bordeaux et Nancy… Des dispositifs qui fonctionnent encore très bien aujourd’hui.


Comment une mission comme celle-ci s’achève-t-elle ? Comme elle a commencé. Un changement de ministère, un coup de fil et retour en métropole. Je suis rentré à Nancy diriger l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique… et m’engager en politique.


Une première ? Oui, même si j’avais hésité, à la fin de ma thèse de doctorat, à rejoindre l’équipe municipale de Dominique Baudis. Il m’avait approché après avoir vu un reportage sur mon activité de recherche. Il cherchait à l’époque à rajeunir son équipe. Peut-être avait-il déjà en tête la thématique de la diversité.


Pourquoi avoir refusé ? J’ai refusé parce que je n’étais pas certain de trouver un poste à Toulouse. Et puis je n’avais encore pas grand chose à offrir…


Qu’aviez-vous à offrir à Nancy, en 2014 ? Principalement mon expérience dans l’élaboration de projets. Laurent Hénart, centriste du parti radical valoisien, m’a sollicité pour être l’animateur du projet de ville. Pendant six mois, tous les samedis, j’ai animé des réunions thématiques, des rencontres sur le sport, la culture, la vie de la commune. Une expérience extraordinaire. On apprend comme ça beaucoup plus vite que dans les livres. Laurent Hénart a été élu, et je suis devenu adjoint en charge des écoles, et élu communautaire en charge du projet de métropole.


Comment vous sentiez-vous dans ce rôle d’élu ? J’ai été passionné par la fonction, mais la politique, c’est très dur. Déjà, la campagne municipale, c’était difficile, mais après la mairie, Laurent Hénart a souhaité que je me présente aux législatives. Et là… Très, très dur. Il y avait des méchants sur la place ! Dur, violent, mais un superbe apprentissage.


Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse
Photo: Rémi Benoit

Verdict des urnes ? J’ai perdu. J’ai pris des coups, mais ça forme. Avoir connu la dureté du combat politique m’aide aujourd’hui dans ma fonction de recteur à comprendre les élus, et à mieux travailler avec eux. Après l’élection, j’ai pris du recul. J’ai travaillé sur un projet d’école d’ingénieurs au Sénégal. Et puis, un nouveau coup de fil, cette fois pour devenir recteur en Guadeloupe. L’ouragan Irma venait de passer. Le gouvernement cherchait un recteur qui ait de l’expérience et qui connaisse les Dom. Deux semaines après, j’étais sur place.


De quoi un recteur s’occupe-t-il sur un territoire où les écoles ont été soufflées par un ouragan ? Il aide à reconstruire, justement. Jean-Michel Blanquer m’avait délégué un agent spécifiquement chargé de la reconstruction sur l’île de Saint-Martin. Le président de la République est venu deux fois pour vérifier l’état de l’île. En deux ans, tout a été reconstruit. Cela reste une fierté collective.


À côté de cette mission cruciale, celle qui vous occupe aujourd’hui à Toulouse doit vous paraître bien calme… Détrompez vous. Toulouse, est une académie qui réussit très bien, avec un excellent travail fourni par les équipes. Mais c’est une réussite en trompe-l’oeil. Il y a des poches de difficultés dans la ruralité et dans les quartiers du Mirail, où la réussite n’est pas au rendez-vous. Il faut donc faire réussir ceux qui sont en difficulté. Chercher une stratégie, des leviers, classe par classe, école par école, collège par collège, lycée par lycée.


Des exemples de levier ? Prenons l’Indice de Positionnement Social (IPS) qui reflète le niveau de revenu et de capital culturel des parents. Quand on étudie cet indice, on constate qu’il est corrélé aux résultats. On a pourtant des établissements qui, avec le même IPS, réussissent mieux que d’autres. J’ai donc demandé aux inspecteurs d’aller voir sur place ce qui explique cette réussite. On installe par ailleurs des internats d’excellence. On multiplie les immersions d’élèves, par exemple du Mirail, dans des secteurs de l’académie où les conditions scolaires et de vie sont plus favorables. Bref, les choses commencent à bouger.


N’est-il pas trop tard ? Il n’y a pas de fatalité. Il faut se battre, ne pas céder de terrain, rester exigeant, et accompagner les élèves à la réussite. Si nous ne le faisons pas, d’autres se chargeront de ces enfants. Ils les détourneront vers l’intégrisme ou la délinquance. Si l’école de la République les abandonne, c’est la fin de la cohésion sociale, la fin du socle qui nous réunit.


Le système éducatif français, loué autrefois pour son excellence, semble moins porter ses fruits. On a le sentiment que nos grands-parents maîtrisaient mieux le français et les maths que nos enfants. Que s’est-il passé? Il n’y a pas de mystère. Il faut de la rigueur pour l’apprentissage. Je ne connais pas d’autre méthode. Je veux bien qu’on apprenne en jouant, mais une table de multiplication, ça s’apprend par cœur, et dans les deux sens. Les verbes irréguliers, ça s’apprend par cœur. Nous avons perdu cette exigence parce que certains voudraient que l’enfant soit au centre de l’apprentissage. Chaque chose en son temps. Tout apprentissage a une contrepartie : l’effort. Et ce, à n’importe quel âge. Toutefois, ce que vous avancez dans votre question n’est factuellement pas juste.


C’est-à-dire ? On ne peut pas comparer les élèves d’aujourd’hui à nos grands-parents. Les élèves qui maîtrisaient le français et les mathématiques autrefois étaient une minorité, une élite, et tous les enfants n’étaient pas scolarisés. Aujourd’hui tous le sont. Si vous compariez le même échantillon, vous trouveriez le même niveau. Peut-être même meilleur chez les enfants d’aujourd’hui, parce qu’ils maîtrisent en plus l’informatique, les nouvelles cultures, et ont accès à internet. La difficulté, c’est la masse. On est passé d’un enseignement réservé à une partie de la population, à une massification.


Quid des classements internationaux qui nous sont défavorables ? Ils ne nous sont pas favorables, mais ne doivent pas nous faire tirer de conclusions hâtives. On ne peut pas comparer la Norvège ou le Danemark à la France. Ce n’est ni la même histoire, ni la même population. Homogène d’un côté, hétérogène de l’autre, à la fois ethniquement et socialement. De plus, ces évaluations ne portent pas uniquement sur le savoir fondamental mais aussi sur la capacité de l’élève à mobiliser ce savoir. C’est là que notre système n’est pas efficient. Ce qui est douloureux, ce n’est pas qu’on soit relégué dans les classements, mais que l’écart entre ceux qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas se creuse. C’est le vrai défi.


Comment le relever ? Quand on s’adresse à une classe, en général c’est une gaussienne, c’est à dire qu’on s’adresse à la moyenne : ceux qui sont largués restent à la traîne, et ceux qui sont très bons attendent les autres. Certaines approches pédagogiques permettraient, à travers le numérique en particulier, d’individualiser l’enseignement et de faire avancer chacun à son rythme.


Vous évoquiez plus tôt le rôle joué par les activités extra-scolaires dans votre propre réussite. Sont-elles suffisamment prises en compte aujourd’hui ? L’indice de positionnement social intègre cette dimension culturelle. Le nombre de livres dans la maison, le nombre de sorties culturelles à l’opéra… Certains enfants ne liront jamais, n’iront jamais au théâtre ni à l’opéra si l’école ne les accompagne pas. C’est vis-à-vis de ceux-là qu’il faut fournir le maximum d’efforts.


À partir de quel âge faut-il se préoccuper de cette ouverture culturelle ? À trois ans, et même avant. Quand on étudie le dictionnaire mental d’un enfant à l’entrée du CP, la différence est déjà énorme selon le milieu social. L’idéal serait que tous les élèves arrivent au collège avec le bon niveau. L’Éducation nationale ne peut pas faire cela toute seule. On ne peut relever ce défi que dans le cadre d’une alliance éducative.


C’est-à-dire ? Les portes ouvertes dans les collèges et les lycées, c’est très bien, mais il en faudrait dans des entreprises partenaires. J’entends des chefs d’entreprise dire que l’enseignement est loin du monde du travail… Je réponds que nous sommes demandeurs !


Photo: Orane Benoit

Ces propos sont plutôt inattendus dans la bouche d’un recteur… Je n’ai pas de tabou, y compris avec les organisations syndicales. Je leur parle comme je le fais avec vous, en essayant de faire avancer les choses pour que l’élève soit formé intellectuellement avec des valeurs, et puisse s’insérer professionnellement.


Puisqu’on parle d’insertion professionnelle, comment régler la question de la crise de vocations dans l’enseignement ? Il faut déjà situer cette crise dans un contexte plus global : dites-moi quel secteur n’a pas de mal à recruter aujourd’hui ? Une mutation globale du monde du travail s’opère sous nos yeux, qu’on comprend mal parce qu’on manque de recul. On essaie d’y répondre avec des solutions de l’ancien monde, et ça ne marche pas. Être fonctionnaire, avoir la sécurité de l’emploi… ces arguments ne parlent plus aux jeunes. Il faut trouver autre chose. Réinventer le métier, augmenter la rémunération, surtout dans les petites classes etc.


L’an passé, vous avez organisé un job dating pour tenter de recruter des enseignants. Quel bilan ? Nous avons reçu des profils de grande expérience et de grande qualité qui n’auraient jamais eu l’idée de se présenter à nous dans un autre contexte.


Comprenez-vous l’émoi suscité par cette démarche ? Ceux qui la critiquent sont les mêmes qui protestent quand il n’y a pas d’enseignant dans la classe. On fait comment, alors ? Il n’y a pas si longtemps, on se bagarrait pour avoir des postes. Désormais, on ne manque pas de moyens mais de ressources humaines. Donc, si le candidat a le bon profil, si la formation est bonne et le diplôme adéquat, il n’y a pas à attendre !


Peut-on enseigner sans avoir longtemps appris à le faire ? La première fois que j’ai enseigné moi-même, je l’ai fait directement, sans qu’on me dise comment faire. On apprend aussi en faisant, auprès de ses pairs… Il faut nous faire confiance !

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