Sous le ciel orageux de Blagnac, ce jeudi 11 juin, les employés de Derichebourg sont réunis sur le parking de l’entreprise. Le panneau de la société a été tagué, Derichebourg ayant laissé place à « de pauvres bougres ». Assis sur une chaise de camping, chacun parle de sa situation, des difficultés familiales qui s’annoncent. Barbu à la chemise rouge, Romain, élu UNSA et câbleur aéronautique, synthétise : « La situation est grave. Beaucoup de mes collègues ont fait des emprunts, acheté une voiture, fait des projets, des enfants. Aujourd’hui, ils voient leur salaire baisser de 400 euros. Comment vont-ils faire ? ».
L’entreprise a proposé de négocier avec les syndicats* des conditions pour alléger les licenciements. L’APC prévoit selon eux, une perte d’indemnités transport et repas, la perte du treizième mois, la suppression des primes de fonction et une plus grande mobilité géographique. La direction de Derichebourg veut présenter l’APC au conseil social et économique de l’entreprise présidé par le syndicat Force Ouvrière majoritaire et démocratiquement élu. Cependant, les employés présents aujourd’hui redoutent d’être « les perdants de cette crise ». Surtout depuis que certains prêtent à Pascal Lannette, PDG de Derichebourg aeronautics, les propos suivants : « Les gens vont devoir choisir de quoi ils veulent mourir, de faim ou du virus ».
Jeudi, la lutte devient politique. Manuel Bompard, député européen LFI, Antoine Maurice, tête de liste Archipel citoyen candidat aux dernières élections municipales et Marc Péré maire de L’Union et candidat à la présidence de la Métropole sont aux côtés des salariés. Baskets aux pieds, le regard fatigué par un mois de mobilisation, ces derniers prennent la parole un à un pour crier leur indignation, et leur incompréhension de voir la direction de leur entreprise ne pas avoir attendu le plan d’Airbus mi-juillet pour prendre leur décision. Sinon qu’une source interne proche de la direction nous confiera que les prévisions d’Airbus sont connues des dirigeants depuis le mois de mai. C’est presque 50 % de l’activité qui ne reprendra pas chez Derichebourg.
Pour Romain, la pilule a du mal à passer : « Cette crise c’est une brèche dans laquelle Derichebourg s’engouffre pour faire sauter nos acquis sociaux et rendre l’entreprise plus compétitive. On fait figure de test : si on tombe, les autres tomberont aussi ».
Aussi les salariés se disent-ils prêts à faire le dos rond. Interrogée, la direction préfère ne pas communiquer sur ce sujet. La crainte qui domine est celle que le remède soit pire que le mal. Dimitri s’exclame alors au milieu de la foule : « C’est du chantage à l’emploi, bientôt on va devoir payer pour aller au travail ! Le patron de notre entreprise ne se bat pas pour ses employés mais pour ses actionnaires ». Seif, l’un des deux membres fondateurs du collectif des salariés non-syndiqués revendiquant plus de
400 adhérents sur leur page Facebook, prend la parole : « Ça fait 14 ans que je travaille ici, c’est une honte d’être traité comme ça. On ne touche déjà plus de primes, ce qui fait 300 euros en moins sur mon salaire mensuel ». Une grande partie des employés croit encore à une intervention politique. D’autres ont renoncé à cet espoir. Pour l’un d’entre eux, Antoine Maurice, en campagne pour les municipales, ne sera « plus à leurs côtés dans deux mois ».
La pluie se met à tomber. Moment choisi par Manuel Bompard, pour proposer d’invectiver la direction de Derichebourg aeronautics devant la porte d’entrée. Mais alors que les fondateurs du Collectif et Philippe Folcart, délégué syndical au CSE UNSA aérien, caressent l’espoir d’entrer en même temps que les politiques pour rencontrer le PDG, le député européen Manuel Bompard et Antoine Maurice sont les seuls à pouvoir pénétrer dans l’enceinte. Une décision qui ne surprend personne chez les manifestants : « Le jour où je suis arrivé ici on nous a dit : “vous êtes chez vous”. Mais aujourd’hui la porte est fermée » hurle Seif. Trois quarts d’heure plus tard, les deux hommes politiques sortent du bâtiment. La réponse est claire, la direction, s’appuyant sur l’expertise du cabinet Actis, ne veut pas revenir sur sa proposition d’APC. Le lendemain matin, 200 personnes se retrouvent devant le siège de Derichebourg. Parmi elles, l’ancien maire de Toulouse Pierre Cohen. Assurément, la lutte devient médiatique. À 11h, le verdict tombe et douche l’espoir des salariés. Le vote est favorable à l’APC à 10 voix contre 9. Manuel Bompard incite les collectivités locales à faire pression sur l’entreprise et à organiser une mobilisation collective. Sur ce parking, devenu en deux semaines le symbole de la première contestation contre les licenciements dans le secteur aéronautique à Toulouse, la colère explose. Derichebourg pourrait être le premier d’une longue liste. Juché sur une table de camping, Seif harangue la foule : « La détresse elle est là, aujourd’hui on se bat pour nous mais aussi pour nos collègues, pour les autres entreprises qui vont y passer ». Des fumigènes éclatent. Des hommes hurlent devant les portes fermées du siège social. Des banderoles « Non à l’APC » flottent au-dessus des flammes. De toutes parts monte le même slogan : « Ils nous enfument, on les enfume » * Syndicats : UNSA aérien / FO métaux / La CFE.CGC