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Valérie LASSUS

Engagés volontaires – Jean et Erwan

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Erwan et Jean, c’est un duo haut perché. Par leur cursus universitaire… et leur présence sur l’en-but du stade Ernest-Wallon lors du match Stade Toulousain/Stade Français qu’ils ont interrompu en novembre.



À la 17e minute du match de Top 14 Stade Toulousain – Stade Français, deux hommes foncent sur le terrain et grimpent sur les poteaux pour s’y accrocher à l’aide de serflex. 10 secondes chrono. Rapidité, souplesse, agilité, de vrais athlètes, même si les spectateurs, y compris ceux qui ont regardé la scène en direct sur Canal+, n’ont pas tous apprécié la performance… Quelques mois plus tard, les deux hommes n’ont rien perdu de leur motivation. Jean*, 29 ans, c’est le brun, allure sportive et zen, barbe et longue boucle d’oreille, sourire mesuré. Erwan*, 26 ans, plus fluet, c’est celui qui a la moustache de d’Artagnan et qui rigole quand il vient à notre rencontre. À notre regard interrogatif sur son poignet maintenu par une attelle, il répond : « Une entorse au pouce. Je me suis fait bousculer par les CRS, à la manifestation contre l’AG des actionnaires de Total, à Paris [le 26 mai]. ». Malgré leur condamnation en première instance, les risques physiques encourus et les difficultés financières, le choix des deux militants écologistes est arrêté. 


*Aucun des deux n’a souhaité communiquer son patronyme


Retour sur le 5 novembre 2022. « Nous étions bien préparés. Au moment de courir à travers le terrain, j’étais en mode automatique, avec le mental d’un sportif en compétition », raconte Jean qui parle en connaisseur, ayant pratiqué le canoë kayak au niveau international pendant 15 ans. Cette action, ils l’ont menée au nom, avec la préparation et le soutien de Dernière Rénovation (DR), cette campagne d’actions qui veut obliger le gouvernement à tenir ses engagements en matière de rénovation thermique des bâtiments. Arrestation, garde à vue, mise en examen et verdict du tribunal de Toulouse, le 10 mai dernier : deux mois de prison avec sursis, interdiction de pénétrer dans des enceintes sportives pendant deux ans et 7 188 euros à verser au Stade Toulousain pour la réparation de l’en-but. Des peines pour l’instant suspendues puisque les avocates des deux hommes, Mes Claire Dujardin et Clémence Durand ont fait appel.


Erwan a 24 ans quand il arrive à Toulouse de son Oise natale pour poursuivre une thèse en physique des plasmas à l’Université Paul-Sabatier. Jean, lui, est venu de Pau pour faire ses études à l’INSA. Il a exercé son métier d’ingénieur pendant cinq ans dans l’éolien et le biogaz, avant de devenir enseignant vacataire en ingénierie et enjeux écologiques. Erwan a laissé tomber ses études pour s’investir pour le climat. « Défendre le vivant a plus de sens pour moi que mener une carrière d’ingénieur. » Trier ses déchets, couper l’eau quand on se brosse les dents, il a vite vu la limite des fameux « petits gestes » et ne se voyait pas prendre le train-train d’une vie rangée en sachant « le désastre qui nous arrive ». Jean aussi est tombé dans la marmite verte sur le tard, soulignant que faire des études supérieures, c’est aussi aller dans une grande ville où les réseaux militants sont plus développés. « J’en suis arrivé là quand je me suis posé des questions sur notre futur en lisant des rapports et articles scientifiques et en observant le terrain. En tant que kayakiste, j’ai aussi vu évoluer les rivières, en mal. Je me suis demandé quoi faire pour avoir un futur plus enthousiasmant. » C’est là aussi qu’il a commencé à faire de la danse contemporaine « une façon d’aborder d’autres questions, de faire avancer la société aussi, différemment. »


Photo: Alain Pitton
Photo: Alain Pitton

Erwan reprend : « Face à cette anxiété, j’ai besoin de sentir que j’ai un pouvoir, certes tout relatif, mais dont je me sers. » Après une enfance qu’il qualifie de « normale », son engagement s’est fait peu à peu, de rencontres en rencontres, poussé par des lectures scientifiques, comme les rapports du Giec, par exemple. « Le premier acte qui m’a donné l’impression d’avoir plus d’impact sur mon environnement, c’est quand je suis devenu végétarien. Quelque chose évoluait en moi. Dans mon entourage, on m’a questionné, ça m’a poussé à définir mon combat politique. » Tourner le dos au confort et vivre dans une certaine précarité ne lui fait pas peur. Venant de la classe moyenne, d’une famille stable qui peut encore l’accueillir en cas de gros soucis, doté d’une bonne condition physique, il admet « avoir de la chance ». Quant à Jean, il faisait partie, dès la fin de ses études, des associations Ingénieurs pour demain et Ingénieurs engagés. « Quand on s’expose comme on l’a fait à Ernest-Wallon, ce n’est pas pour le fun, ça vient après avoir tout essayé ».


« Il y a une notion de résilience dans notre engagement. Nous ne nous laissons pas faire »

Comme la plupart des collectifs et associations de défense de l’environnement, Jean et Erwan sont passés par les réunions, les pétitions, le vote, les manifestations, les rendez-vous avec les préfectures et les élus, les procédures administratives et juridiques, l’assignation de l’État en justice pour inaction climatique, la participation aux COP, l’appel aux médias. Le procès, « c’était aussi une façon pour moi de mettre la justice en position de choisir, explique Erwan, si elle nous soutient ou pas. » Notamment en admettant dans leur affaire l’état de nécessité, par ailleurs reconnu par la Cour de cassation en matière climatique depuis 2021. « Je fais ça ni par plaisir, ni par vocation, insiste-t-il, mais parce que j’ai peur et que je veux pouvoir me regarder dans une glace dans 20 ans, quand des enfants nous demanderont “Mais qu’est-ce que vous avez fait ? Vous saviez pourtant !” » Alors le verdict du 10 mai a été une douche froide pour les deux Toulousains. « Je constate qu’il y a aussi peu d’écoute ici qu’au gouvernement » déplore Jean.


Photo: Alain Pitton
Photo: Alain Pitton

À ceux qui relèvent que Dernière Rénovation expose ses militants aux amendes, aux gardes à vue, aux procès, aux coups, pour s’offrir une vitrine médiatique et créer une jurisprudence, Erwan et Jean répondent qu’ils adhèrent à cette stratégie. « Notre contribution est volontaire, et nous sommes très entourés par DR. Il faut bien voir que, sans médiatisation, nous ne sommes rien et c’est parce que nous sommes un collectif que nous avons réussi. » En matière de critiques, il y a aussi eu les inévitables « ça sert à rien » ; « faites c***r à vous en prendre au sport » ou autres « allez manifester ailleurs ». Moins anodines, une menace de mort proférée sur les réseaux sociaux et une interdiction à éviter la place Saint-Pierre sous peine de baston, que Jean évacue d’un geste : « J’irai boire le pastis au mètre ailleurs… » Avec un sourire jusqu’aux oreilles, Erwan tempère : il a été abordé par un sympathisant en gare de Montpellier. « Je ne vais pas cacher que j’ai été fier, je me suis senti légitime. Pourtant, une partie de moi se pose des questions, car je ne suis pas un héros et nous n’avons encore sauvé personne. »


Le jour de leur procès, les deux amis ont été surpris des nombreux soutiens apportés, par leurs proches, mais aussi par des anonymes et quelques personnalités. Durant l’audience en effet, le maire de l’Union, Marc Péré (LFI), présent lors du match du Top 14, venait défendre ces « lanceurs d’alerte » ; Soizic Rochange, enseignante chercheuse en sciences végétales, membre de l’ATECOPOL a apporté sa caution scientifique. Plus surprenant, une lettre de soutien du joueur du Stade Français Clément Castets les a remerciés de « défendre notre avenir à tous. » Difficile malgré tout d’être optimistes. Erwan trouve son réconfort dans chaque petite victoire, dans le fait qu’il n’est pas seul et capable de se projeter dans un avenir où il sait pouvoir résister. Jean s’inquiète plus pour les autres que pour lui-même. « Il y a une notion de résilience dans notre engagement. Nous ne nous laissons pas faire. », dit-il dans un sourire. 

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