En août dernier, après la double explosion survenue dans le port international de Beyrouth, Mathieu Tronchet s’est rendu dans la capitale libanaise pour renforcer les équipes de sauvetage locales. Infirmier et sapeur-pompier volontaire à Montauban, il a regagné son Tarn-et-Garonne natal traversé par
les mêmes sentiments qu’au retour de ses précédentes missions : la fierté, la résignation, et le dégoût.
Depuis sa maison de campagne de La Salvelat-Belmontet, Mathieu Tronchet aperçoit les coteaux du Quercy. Il pourrait passer son temps à s’absorber dans ce paysage. Mais ce qui se cache derrière cet horizon l’attire davantage : l’inconnu, l’ailleurs, l’étranger. « Mathieu ressent le besoin de partir, c’est une nécessité pour lui », confie Lucie, qui partage sa vie depuis plus de 20 ans. Partir, oui, à condition que cela soit pour aider les autres. Le sapeur-pompier a toujours voulu vouer sa vie aux autres. Enfant, il est fasciné par les soldats du feu : « Les autres enfants étaient éblouis par la couleur rouge du camion et la prestance de la tenue, moi, je frissonnais à l’idée d’aider les autres ». À sa majorité, il devient sapeur-pompier volontaire. Puis entame des études d’infirmier à Agen : « J’ai tout de suite su qui j’étais, je n’ai pas eu besoin d’un cursus scolaire pour le découvrir. » Infirmier et sapeur-pompier, il veut aller plus loin et s’engager dans l’humanitaire. À la caserne départementale du Tarn-et-Garonne, le jeune infirmier fait la connaissance du médecin-chef François Sarda. Ce lieutenant-colonel habitué des missions humanitaires voit en lui une valeur sûre pour l’ONG Aides Actions Internationales Pompiers. Au-delà du désir d’être utile, il y a l’appel de l’aventure. Aussi, quand on lui propose de rejoindre l’équipe qui partira à Haïti en 2010, il saute sur l’occasion. Gonflé à bloc, « comme lorsque je pars en intervention », il découvre à son arrivée une situation contrastée où les sentiments s’entrechoquent. L’adrénaline laisse vite place à la douleur, « Il y a des visages qui marquent » confie-t-il avec pudeur. Comme celui d’une haïtienne de 18 ans rencontrée dans le camp de Pinchinat, un abri de fortune où l’insalubrité règne. « Sa cuisse était ouverte en deux, le sang s’écoulait en continu dans une mèche de cicatrisation entièrement gangrénée. J’ai appris par la suite qu’elle était morte d’une septicémie. » Mais à Haïti, il réussit aussi à sauver une fillette victime d’une infection sévère aux amygdales qui « avait un goitre impressionnant et qui a été prise en charge sur un navire médical américain où elle a pu être sauvée. » Les missions humanitaires sont ainsi faites d’émotions diverses, contrariées, complexes. De moments plus légers, aussi, que Mathieu aime raconter avec beaucoup d’entrain : « À l’étranger, il faut faire attention à la nourriture locale. Avec mon équipe, nous avions acheté une poule vivante pour le dîner.
En attendant le repas, nous l’avions attachée à une patte. Un coq a débarqué de nulle part et a attaqué sauvagement la poule. Pour ne pas que la viande soit avariée, j’ai dû faire du bouche à bec pour la sauver ! » De ses nombreuses anecdotes de mission, Mathieu Tronchet pourrait tirer un livre. Mais il préfère garder pour lui ce qu’il a vécu. Par pudeur sans doute. Car l’homme se dévoile difficilement. Ce qui ne l’empêche pas, comme l’explique Jean-Marc Chesnet, qui a connu le sapeur-pompier dès sa première mission, de s’attacher facilement aux autres. Difficile dès lors de revenir, comme après Haïti, d’où Mathieu rentre désorienté, épuisé physiquement et moralement : « En tant que sapeur-pompier en France, j’ai tout vu, des morts de tous âges, des accidents effroyables. Mais ce que j’ai vécu en mission était bien pire. » Son épouse se souvient de ce retour compliqué : « Il lui a fallu du temps pour se réadapter à la réalité française. Ce n’était plus le même homme. Il s’est rendu compte que nous étions en France beaucoup trop matérialistes. » Il n’a pourtant qu’une envie : « Préparer mon sac et repartir. » En 2014, il part aux Philippines frappés par le typhon Haiyan. Sur place, la réalité le rattrape. Et l’écœure, comme lorsqu’il assiste à la distribution de stylos par des Asiatiques bien habillés, flanqués de cameramen, à des enfants à qui il est demandé de crier merci Asian Safari Air. « Dans les missions, il y a le meilleur et le pire de la nature humaine. » Quand l’infirmier sapeur-pompier rejoint Beyrouth en août dernier, c’est pour prêter main forte au plus vite aux équipes de sauvetage locales. Sur place, il comprend que le temps est compté : « Nous avons dormi sous les décombres pour être le plus rapidement sur le chantier. » Le travail est long, difficile et les risques constants : « Un après-midi, les pelleteuses ont cassé un silo rempli de maïs. Des milliers de tonnes se sont déversées sur le chantier. Nous avons couru pour éviter de périr sous ce tsunami de céréales. » Il est aussi interpellé par les injustices qui secouent le pays : « Les victimes ont été prises en charge gratuitement dans les hôpitaux.
Mais pour que les soins se poursuivent, il fallait payer. » Une situation qui conduit la mission à organiser des maraudes pour porter secours aux Libanais les plus pauvres. Après sept jours au Liban, Mathieu quitte le chantier, emportant avec lui beaucoup de questions sans réponses : « Quand on voit les dégâts, on a dû mal à croire qu’il n’y a eu que 160 morts. Les autorités libanaises ont comptabilisé uniquement les décès libanais et non les étrangers. Dans un port aussi important que Beyrouth, il n’y avait évidemment pas que des locaux. » De retour dans sa maison, Mathieu est heureux de retrouver ses trois enfants et sa femme Lucie avec lesquels ils partagent des valeurs « humanistes », issues de leurs racines familiales : « Mes grands-parents étaient résistants, j’ai été élevé dans une famille qui m’a transmis ces valeurs de respect ». Un ADN qui explique sans doute pourquoi il sait qu’un jour, il repartira, aider, soigner, réconforter ceux à qui la vie s’est brisée en quelques minutes, quelques secondes.