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Juliette Chabagno

Injections ou injonctions ?

Dernière mise à jour : 5 janv.

La première clinique spécialisée en médecine esthétique a ouvert au printemps à Toulouse, à l’enseigne de La Clinique des Champs-Élysées, établissement prisé des influenceurs de tout poil. Boudu a cherché à en savoir plus sur le phénomène de la médecine esthétique apparu il y a à peine 20 ans, qui connaît un succès grandissant chez les jeunes.



Je trouvais mon menton trop gros et mes lèvres trop petites » Pauline Levy, étudiante de 21 ans, en est à sa troisième injection d’acide hyaluronique dans les lèvres. Une seringue entière, à chaque séance. « Au départ, c’était l’aspect éphémère des injections qui me rassurait » confie celle qui met déjà de l’argent de côté pour une future reconstruction mammaire et du botox. Elle a longtemps hésité avant de passer à l’acte. Le principal obstacle était le prix : « J’attendais juste mon premier salaire.» Pour une seringue d’acide hyaluronique, il faut compter entre 200 et 400 euros. Pauline était prête à mettre le prix pour corriger son complexe, qu’elle reconnaît venir en partie des publications d’influenceuses sur les réseaux sociaux. A l’été 2019, la journaliste américaine Jia Tolentino nomme Instagram face le visage qu’elle identifie comme idéal selon les standards de beauté du réseau social. « Un visage jeune avec une peau sans pores et des pommettes hautes et charnues, des yeux de chat et de longs cils caricaturaux, un petit nez soigné et des lèvres pleines et luxuriantes. »


Pauline Levy

Pauline Levy


Cet Instagram face n’a eu aucune difficulté à traverser l’Atlantique. Nombreux sont les jeunes qui l’ont intégré dans leur représentation de la beauté. Si sur les réseaux, il est facile de gommer ses supposés défauts et de modi-fier ses photos, grâce à des filtres ou des applications de retouche automatique, dans la vie, il faut passer par la médecine esthétique. Les propositions sont nombreuses : laser, lumière pulsée, injections d’acide hyaluronique ou de botox. « Elle recouvre des actes non invasifs, c’est à dire non chirurgicaux » explique le Docteur Soubirac, chirurgien esthétique qui pratique depuis plusieurs années la médecine esthétique. « Le médecin esthétique est au départ un généraliste qui ne veut plus faire de la médecine générale… parce qu’on ne va pas se le cacher, [l’esthétique] c’est lucratif » glisse le chirurgien installé dans un hôtel particulier du quartier des Carmes à Toulouse.

Témoin du succès grandissant de la médecine esthétique, la Clinique des Champs-Elysées, bien connue des influenceurs qui sont nombreux à y partager leurs expériences (injection, épilation laser ou peeling) avec leur communauté, a ouvert son 14e établissement en France à Toulouse en mai dernier et compte bien tenir le rythme d’une ouverture par mois pendant encore un an, avance Tracy Cohen Sayag, directrice générale du Groupe : « Ici, les gens ne viennent pas pour se transformer mais pour prendre soin d’eux.»


chirurgien esthétique

L’engouement pour la médecine esthétique est tel que les professionnels comme le Docteur Soubirac reconnaissent devoir parfois freiner les ardeurs de patientes comme cette femme de 19 ans venue consulter récemment pour du botox. « Il faut savoir dire non. Certains me demandent 2-3 seringues par lèvre, c’est délirant ». Il semblerait néanmoins, selon le chirurgien, que les demandes soient moins « extravagantes » à Toulouse, qu’à Paris ou sur la côte d’Azur « La demande en prothèses mammaires est plus importante dans les villes balnéaires comme Nice ou Monaco. »

Autre changement, alors qu’en France, les personnes ayant recours à la chirurgie ou à la médecine esthétique avaient tendance à se montrer discrètes contrairement au Brésil, par exemple, où la chose apparaît comme un signe de réussite sociale, les tabous désormais sautent : « Un lifting, il y a 40 ans, ce n’était pas assumé. Aujourd’hui les patientes ont bien plus de facilité à en parler », observe le chirurgien qui exerce depuis 18 ans. « Je consulte en plein centre-ville, les patientes se croisent, elles se connaissent, parfois ce sont même des copines. »

Reste la question éthique que la dermatologue parisienne Louise Hefez interrogeait en 2018 dans une étude publiée sur le sujet : « Est-ce le rôle d’un médecin que de participer à une certaine tyrannie de l’apparence, à une pathologisation du vieillissement et à un contrôle des corps en particulier féminins, menant les femmes à un gouvernement de soi se traduisant par la traque de la moindre “déviance esthétique” ? »

Pas question toutefois, pour le Docteur Soubirac, d’être le seul à porter le chapeau: « Si le médecin y participe, il n’est pas responsable : c’est la société et les médias qui veulent ça ». Et d’ajouter que les médecins se contentent de mettre à disposition un outil pour répondre à une demande. « Si la patiente vient, ce n’est pas parce que le médecin le lui a demandé. La médecine, la chirurgie esthétique, finalement, c’est propre aux pays riches. C’est parce qu’on s’emmerde. Mais il faut surtout penser à vivre. »

Pauline, dont l’entourage prône le naturel, reconnait qu’elle prend sur elle pour ne pas recommencer les injections. « J’ai été satisfaite lors des trois premières. Mais mes proches trouvaient que cela avait complètement changé mon visage. »

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