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Robin FERNEZ-MICHEL

Joute woke

Le 13 juin dernier Chloé Morin était l’invitée de la deuxième édition des rencontres de « l’Invité Capitole », série de conférences et de débats avec des intellectuels et des essayistes initiée par le maire de Toulouse pour tenter de redonner des vitamines à la démocratie. Boudu s’est glissé dans la salle.

a conférence, organisée par une chaude journée de juin dans une des salles du Gaumont

Wilson à Toulouse, a les atours du boxon annoncé. La tension se mesure au nombre de fourgons de police stationnés sur place. Et pour cause : le thème de la conférence, le wokisme, a suscité l’ire d’une partie de l’opposition au maire (et organisateur) de l’évènement Jean-Luc Moudenc. Celui-ci s’était vu accuser par une partie de son opposition, dont les députés de Haute-Garonne François Piquemal et Hadrien Clouet, de « donner une estrade à un terme inventé par l’extrême-droite ».

Si bien qu’une campagne de réservation massive

de places, digne des plus grands clashs du rap américain, menée par ses opposants a bien failli faire annuler la conférence.

En passant les portes vitrées du cinéma, on prend vite la mesure du malaise entourant l’évènement : après une première fouille accompagnée d’un contrôle d’identité et des billets, un nouveau contrôle nous attend en haut de l’escalier, auquel s’ajoute, cette fois-ci, un examen approfondi des sacs. Puis un troisième contrôle avant d’entrer, enfin, dans la salle.

Certains s’agacent, mais finissent par rejoindre le public. Une fois à l’intérieur, l’impression de pénétrer dans un bunker de l’armée américaine laisse place à l’ambiance feutrée des velours de la salle. Le noir des murs tranche avec le blanc des cheveux de l’assistance. L’écran, gigantesque, projette pour un public finalement assez réduit le thème de la conférence, « Le wokisme ». L’animatrice Priscille Lacombe rompt bientôt le silence ambiant en présentant l’invitée du soir.

Arrivé en dernier au premier rang, le maire de Toulouse est invité à prendre la parole. Il se dit « plus heureux que la moyenne » de recevoir Chloé Morin à Toulouse et se félicite, pour garder sauves les « valeurs républicaines », d’organiser cette série de débats sur des « sujets fondamentaux ». Sans oublier de rappeler l’esprit de convivencia toulousain, « un vivre-ensemble à l’occitane dans le respect des différences ».

Chloé Morin, droite sur sa chaise haute devant l’écran du Gaumont, pose les termes du débat : le « wokisme », c’est selon elle « la division du monde entre dominants et dominés », une scission de la société entre d’un côté « les hommes, blancs, hétérosexuels, âgés, occidentaux », et de l’autre « les femmes, les minorités ethniques, sexuelles, de genre, de couleur de peau ». La salle, très calme, lui accorde un silence qui rendrait presque inutile l’utilisation de son micro. Sur un ton tout aussi posé, la haute fonctionnaire passe en revue les principales critiques opposées au terme, consciente que « personne ne l’a théorisé » et que « 45% des français ne savent pas ce que c’est ». Reconnaissant l’absence de consensus sur le sujet, elle établit néanmoins sa filiation avec le mouvement #MeToo.

La petite réunion calfeutrée se transforme en une conférence controversée, lorsque après environ une heure de questions-réponses avec l’animatrice, la parole est donnée au public. La première intervention n’est pas la moins incisive : « Bon, il y a plein de choses qui ne vont pas », pose d’office la voix d’une des rares personnes sur place dotées de pigments capillaires ; un jeune. Entouré de plusieurs camarades approuvant ses propos, le jeune homme charge la conférencière sur ses positions « non-scientifiques » sur la construction sociale des enfants, ramenant le débat à sa controverse initiale. Il reçoit du soutien derrière lui, où une spectatrice, participant elle aussi à sortir la salle de sa torpeur, s’exclame « On veut des sources ! ». Un peu bousculée par cette augmentation brusque du volume sonore, Chloé Morin, répond tant bien que mal avant que d’autres mains ne se lèvent.

« La pensée woke est riche et ne date pas d’hier », pose une dame plus âgée : « Elle a été portée par des noms comme Derrida, Foucault, ou Fanon ». Là encore, Chloé Morin reconnaît une complexité du sujet, qui ne date pas des dernières années. D’autres, pourtant, abondent dans le sens de l’invitée, en l’interrogeant sur la question de la classification sportive des athlètes transgenres, ou sur le phénomène de la cancel culture, y compris à Toulouse. Un membre de l’administration de la mairie en charge de la culture narre notamment ses déboires avec un groupe de militantes féministes l’ayant conduit à annuler une exposition de photographie, déclarant qu’on « ne l’y reprendra plus ». Si le micro circule et que plusieurs points de vue sur le sujet sont exprimés, une main reste en suspens : celle du jeune homme ayant pris la parole en premier, visiblement déterminé à répondre lui-même aux interrogations du public. Quelques minutes avant la fin de la rencontre, on lui soulage enfin l’avant-bras gauche en lui passant le micro.

« J’ai plein de choses à dire, mais vu qu’on n’a pas le temps, je vous laisse choisir laquelle », propose-t-il à la conférencière, visiblement pas amusée par ces questions à choix multiples.

L’animatrice presse le jeune homme d’aller droit au but. Il s’engage alors dans une très longue diatribe, ne laissant que peu de temps à Chloé Morin pour répondre. Le spectateur, non satisfait de la réponse, renchérit, clamant que « Ce n’est pas scientifique ». Le public lui-même, jusque-là trésor de retenue, soupire face à son acharnement. Alors que l’intervenant continue d’interroger Chloé Morin, Priscille Lacombe doit couvrir sa voix pour lui annoncer : « Je suis désolée, on va devoir s’arrêter là monsieur ! » Chacun se lève alors, sauf le jeune homme déterminé à poursuivre son invective. Tout le monde finit par se diriger vers la sortie et alors que le public gagne les escaliers, certains approchent le petit groupe de jeunes pour continuer la discussion. « Les wokes s’en vont ! » clame l’un d’eux, d’un ton moqueur. Le débat se poursuit dans le hall du cinéma Gaumont, et bientôt dans la rue où le public se disperse

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