top of page
BOUDU

Joël Echevarria : Pour une frugalité joyeuse

« N’ayant souci de rien autre que d’eux-mêmes, beaucoup d’hommes et de femmes abandonnèrent la cité, leurs maisons, leurs demeures, leurs parents et leurs biens, et cherchèrent un refuge dans leurs maisons de campagne ou dans celles de leurs voisins. » Boccace, dans son Décaméron, décrit ainsi le comportement des Florentins face à l’avancée de la peste, en 1350, qui tuera la moitié des habitants de la Ville. Près de sept siècles plus tard, nos comportements ont-ils vraiment changé ?

Cette crise sanitaire et économique a beau être violente et toucher des générations qui n’ont jamais rien connu de tel (à part les plus de 80 ans, soit 6 % de la population française), il me semble présomptueux de penser qu’elle nous poussera vers de nouveaux comportements. « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde » nous disait Camus, avant de poursuivre « la mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande, elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse pas ». Sommes-nous sûrs d’être à la hauteur de la génération de Camus, qui inventa la paix pour avoir trop souffert de la guerre ? J’aimerais le croire… Mais le risque de tomber dans le biais de confirmation est grand, chacun considérant que ce qui arrivera sera ce qu’il souhaitait qu’il arrive avant même la crise. Et là où certains voient l’émergence d’une conscience collective, je vois plutôt une somme de consciences individuelles, voire individualistes, difficiles à mobiliser vers le bien commun.

Mais assez de pessimisme ! Je veux ici exprimer un espoir, un seul : que les réponses gouvernementales à ce danger de mort imminente, très puissantes, le soient tout autant pour un autre danger qui arrive, mais de mort lente cette fois-ci : le changement climatique. Les épidémies de choléra du xixe siècle débouchèrent sur une urbanisation repensée, incluant égouts, adduction d’eau et collecte des ordures ménagères. La grippe espagnole de 1918 entraina la création de réseaux mondiaux d’observation sanitaire, qui jouent encore leur rôle aujourd’hui. La pandémie de 2020 devra inciter nos gouvernements à revoir l’ordre de certaines priorités.

Mais pour autant, nous, citoyens, ne pouvons pas tout attendre du progrès technique ou du gouvernement. Certes nous pourrons rêver d’une chimérique « croissance verte », concept opportuniste et manipulateur, conçu pour nous faire croire que nous pouvons réduire nos émissions de CO2 sans renoncer à une partie de notre confort. Mais rien ne pourra durablement se faire sans un changement de nos comportements de consommateurs, de citoyens, d’investisseurs, de décideurs. Réduire notre empreinte carbone nous coutera quelques points de PIB et quelques grammes de douceurs faciles.

Et si ce confinement n’était qu’un entrainement ? Galthié exige de son XV de France des entrainements plus intensifs que les matches. Alors préparons-nous au match qui vient, qui, si nous le perdons, ne fera pas des milliers de morts, mais des millions. Apprenons dès aujourd’hui à renoncer à certains déplacements, certaines consommations, certains loisirs, certains mètres carrés. Inventons une frugalité joyeuse, porteuse de sens et d’équilibre, seul viatique pour amener nos petits-enfants vers le XXIIe siècle. Et cessons de tout attendre « des autres » : nous sommes ceux qui subissons le Covid-19, nous serons ceux qui gagneront (ou pas…) le match du changement climatique.

bottom of page