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Jean Couderc

Justice : regards croisés

Principalement sollicitée, au début de la ZAD, pour des procédures d’expulsion, l’avocate alors installée à Gaillac Claire Dujardin a vu la situation se tendre au fil du temps. Et la nature de son travail changer. À partir du déboisement, ce ne sont plus que pour des plaintes contre les forces de l’ordre qu’elle est saisie. « Il y avait clairement, de la part de la gendarmerie, une volonté de passer en force conjuguée à une difficulté à tenir une zone de cette taille. Et puis à l’époque, il n’y avait pas encore l’Observatoire des pratiques policières. »


L’avocate, aujourd’hui installée à Toulouse, se souvient aussi d’une justice aux abonnés absents : « Les plaintes que l’on déposait n’ont jamais été vraiment instruites. Et le parquet ne répondait pas aux nombreuses alertes sur les mises en danger. Il n’y avait d’ailleurs pas beaucoup d’interpellations. Je crois que cela ne faisait pas partie de la stratégie. L’objectif était plus de faire peur et d’évacuer la zone. »


Et d’en vouloir au procureur d’avoir laissé faire : « Il aurait dû intervenir, dans un sens comme dans l’autre, ouvrir des enquêtes pour savoir ce qui s’était passé, éventuellement saisir l’IGGN et demander à ce que les auteurs potentiels ne soient plus en service. Parce qu’il y avait des gendarmes qui étaient en roue libre. » Dans le viseur de l’avocate, celui qui a lancé le 7 octobre une grenade de désencerclement dans une caravane où se trouvaient des opposants au barrage.



Sivens, dix ans. photo Rémi Benoit
Sivens, dix ans. Photo Rémi Benoit


Un point de vue forcément pas partagé par son homologue Alexandre Martin, en charge avec Emmanuel Franc de la défense du dit-gendarme, qui se souvient d’un homme « qui n’avait pas la volonté de nuire et qui était sincèrement désolé de ce qui était arrivé ». Mais qui était « au fond du seau, exténué physiquement et moralement par l’enfer qu’il vivait à Sivens ». Entre des horaires de travail en continu pendant des semaines, des provocations, crachats, et jets de pierre dans une ambiance « quasi insurrectionnelle », l’avocat décrit un homme à bout qui a craqué, malgré l’ordre de ne pas réagir pour éviter de mettre le feu aux poudres. « Malheureusement, ce jour-là, il va se retrouver seul, va prendre peur, et avoir un mauvais geste. Mais ce n’était pas du tout un va-t-en-guerre ce gendarme. » Avec le recul, Alexandre Martin a toujours la désagréable sentiment que son client, finalement condamné à six mois de prison avec sursis, une interdiction de détenir une arme durant la même période et 1000 euros de dommages et intérêts pour la plaignante, a été un bouc émissaire. « Avant même que l’instruction ne soit menée à son terme, sa hiérarchie voulait le convoquer en conseil de discipline. Je m’y étais opposé parce que j’avais l’impression que l’on voulait sacrifier ce gendarme pour montrer publiquement que dans la gendarmerie, on savait trier entre les bons et les mauvais. »



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