On la pensait à jamais enfermée dans nos albums de famille. La coupe mulet revient pourtant en force sous la triple influence de l’Espagne, des rugbymen et des LGBT. On organise même des concours pour élire le plus beau spécimen. Comme le champion d’Europe en titre est toulousain, Boudu s’est penché sur la question.
Toulousain d’adoption, Quentin Thomas n’est pas un citoyen comme les autres. Il est champion d’Europe de la nuque longue. À 24 ans, il a été couronné par ses pairs lors du festival de la coupe mulet qui s’est tenu en Belgique en octobre. L’existence même d’un tel rassemblement fait sourire. Et c’est le but : « Le mulet, c’est un symbole d’auto-dérision », assure le Poitevin.
Celui qui se fait appeler Edile Michel, porte sur lui ce second degré et ce détachement joyeux qui ignore le regard des autres… C’est d’ailleurs comme cela qu’il a remporté le concours. Il n’avait même pas prévu d’y participer. Il est juste monté sur scène, a exécuté quelques pas de danse country vêtu d’une veste en cuir à lanières tombantes et coiffé d’un chapeau jeté dans la foule à la fin de sa prestation. Facile. Il est danseur de métier. « Pour comprendre le festival, il faut imaginer 600 personnes avec la même envie de rire, de partager, et de s’émanciper du jugement des autres. Le mulet, c’est ça ! » À l’instar des comédiens débutants qui déclament des textes dans le métro pour exorciser la peur du regard des autres, quelques coups de ciseaux bien placés permettent de passer un cap : « C’est libérateur, assure Quentin Thomas. Ensuite, le ridicule ne t’atteint plus. »
Tombé en désuétude après les années 1980, le mulet est resté depuis une excentricité capillaire. Aujourd’hui, pourtant, il rassemble. « Nous nous sourions dans la rue entre muletistes. Une telle coupe traduit un esprit ouvert. » Signe de ralliement, la coupe mulet a été adoptée par la communauté LGBT+. En résulte l’apparition outre-Atlantique du Lesbian Mullet, porté dans les années 1980 par l’humoriste et animatrice Ellen Degeneres, et plus récemment par l’actrice Kristen Stewart et la chanteuse Miley Cyrus.
Queer moustache
La nature androgyne du mulet en a fait un symbole. Certains Queers, autre lettre de l’acronyme LGBT+, adoptent parfois ce style. Représentant de ce groupe, notre champion toulousain estime que le mulet synthétise bien la thématique « d’affranchissement des règles et d’acceptation de l’autre ». Il y voit un léger pied de nez au caractère « viriliste, macho et un peu beauf » attribué à la coupe. Il n’en reste pas moins que s’il arbore cette coupe de cheveux, ce n’est pas seulement par militantisme : le mulet, ça lui plaît, et il lui promet un avenir radieux : « Au festival, beaucoup de ceux qui venaient sans coupe longue finissaient par s’en faire une. On en voit même dans les rues de Toulouse, notamment chez les jeunes. »
Parmi eux, Guillaume Ober, 15 ans. Lui aussi sourit aux autres mulets quand il en croise dans la rue. Comme beaucoup d’ados toulousains, il a opté pour le mulet de ses héros rugbymen tels les All Blacks Damian Mckenzie et Rieko Ioane. « À l’école on m’appelle Le mulet. Ça me fait rire, je trouve que ça m’identifie. Certains critiquent, mais moi je trouve que c’est BG. »
Le jeune rugbyman n’est pas le seul de sa bande à s’être rasé les côtés. Ses copains l’ont suivi mais « ils ont vite arrêté, fatigués par les critiques. » Pas découragé pour autant, Guillaume pense que le phénomène ne fait que commencer. Il constate une recrudescence de mulet sur les têtes de ses coéquipiers et de ses adversaires. « Il y a même des concours lors des tournois toulousains. » Mais lui ne pourra, hélas, pas faire « carrière dans le mulet ». En 2023, il changera de catégorie d’âge. Et le bizutage de sa nouvelle équipe de rugby risque d’impliquer « un rasage de crâne en règle ».
Jules Bonnefous, arbitre de l’association toulousaine Rugby Five Tonight et témoin de la tendance, constate ce phénomène très populaire chez les jeunes de la ville : « C’est carrément une mode. Je le constate dans les lieux de rugby, les équipes de jeunes et tous les matchs de l’été ! »
En règle générale, les muletistes se laissent pousser les cheveux avant la belle saison, histoire d’être prêts pour les férias, les festivals et les tournois de rugby. « À Toulouse, ça se prépare longtemps en avance avec ses potes. Le mulet va très bien avec des lunettes de cycliste et une moustache à la Magnum. » Le tout, dans une ambiance bon enfant où « mêmes les copines des joueurs, qui n’aimaient pas l’idée au début, finissent par avouer qu’au fond, c’est un peu drôle. »
Déjà démodé ?
Les coiffeurs toulousains, eux, ont intégré le mulet à leur quotidien : « C’est amusant de constater que, pour certains, c’est hyper démodé. Alors que ça revient totalement à la mode » sourit Wendy Girard de l’Atelier de Maud. « La première cliente qui me l’a demandé vivait entre Toulouse et Barcelone. En Espagne, les réseaux sociaux ont popularisé la nuque longue, avec des célébrités comme Úrsula Corberó, qui interprète le personnage Tokyo, dans la Casa de papel. C’est dans l’air du temps : les clients nous demandent des coupes et des tarifs “non genrés”. »
Après le retour du mulet et celui du sac banane, à quoi faut-il s’attendre ? « Peut-être la wolf cut (dérivé du mulet, en plus sauvage) parient Lola et Xavier, coiffeurs au salon Revolucion dans le quartier Saint-Aubin. La mode est cyclique. Le style des années 1980 est revenu et les années 2000 commencent à pointer le bout de leurs mèches. Pendant dix ans, la coupe était réservée au milieu underground, les teufeurs, la sphère techno, tatoo… Maintenant j’en fais au moins une par semaine. Plutôt à des artistes ou des étudiants. »
Mais le problème avec une coupe pensée pour se démarquer, c’est qu’elle perd de son intérêt une fois devenue tendance. « En se réappropriant la coupe, les gens s’abjugent un certain monopole de style. Trop de gens en font, ça perd son essence de base. Mon meilleur pote a un mulet et ne va pas tarder à l’enlever. Il dit qu’il en a marre d’être un clone. Ce n’est plus de la contre-culture si tout le monde s’y met et si même les médias s’y intéressent ! » Oups…