Il existe un lien objectif entre certaines zoonoses (une famille de maladies dont la Covid-19 fait partie) et l'élevage intensif. C'est ce que nous apprend l'économiste Nicolas TREICH, chercheur à la Toulouse School of Economics et à l'INRAE Toulouse. Spécialiste du bien-être animal et des politiques publiques, il estime que l'élevage, notamment dans ses formes intensives, est problématique pour l'environnement, la santé et les animaux.
Pourquoi réduire notre consommation de viande ? D’abord pour l’environnement. L’élevage représente 14,5 % des gaz à effet de serre liés aux activités humaines dans le monde. Il est en outre la première cause de perte de biodiversité, notamment à cause de la déforestation, et une source majeure de pollution de l’eau. Ensuite, pour le bien-être animal. Même en France, la majorité des animaux sont élevés dans des systèmes intensifs, où la priorité est de produire le plus de viande, de lait et d’œufs, le plus vite et le moins cher possible, au détriment du bien-être animal. On les fait grossir rapidement, on entasse les poules pondeuses dans des cages pour gagner de la place… 95 % des cochons passent leur vie dans un enclos, à l’intérieur. Sans parler des diverses mutilations subies : 80 % des porcelets mâles sont castrés à vif ! Enfin, pour la santé. Aujourd’hui, plus de la moitié des antibiotiques dans le monde sont utilisés sur les animaux. Selon les experts en médecine, cet usage massif contribue au développement des résistances bactériennes. On peut aussi avancer les études scientifiques qui montrent que la surconsommation de viande est associée à des maladies comme le cancer, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. On peut enfin citer le rôle de l’élevage dans l’émergence des zoonoses. Au printemps dernier, en pleine crise du coronavirus, vous avez justement cosigné dans Le Monde une tribune à ce sujet. Vous y établissiez un lien entre l’élevage intensif et l’apparition de maladies comme la Covid-19. Faut-il comprendre qu’en supprimant le premier on se prémunit des secondes ? De nos jours, les trois quarts des maladies infectieuses émergentes sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies qui se transmettent entre animaux et humains. Ce sont probablement des contacts entre des chasseurs-mangeurs de viande de brousse et des singes qui ont déclenché l’épidémie de Sida. L’épidémie de Covid-19 a d’ailleurs pour origine probable la consommation d’un pangolin ou d’une chauve-souris. Mais souvent, il y a un hôte intermédiaire, comme un animal domestique. De nombreuses zoonoses sont des grippes porcines ou aviaires qui se propagent dans les élevages après un contact avec un animal sauvage infecté. Beaucoup d’experts en écologie pensent que ces contacts plus fréquents sont une conséquence directe de la déforestation. Rappelons qu’en Amazonie, plus de 85 % de la déforestation est due à l’élevage. Or, réduisant la surface disponible pour les espèces sauvages, on favorise leur rapprochement avec les animaux d’élevages.
Pourquoi les élevages intensifs sont-ils à ce point exposés aux zoonoses ? Déjà discutables du point de vue moral, ces élevages réunissent toutes les conditions pour qu’un virus s’y développe : des animaux très proches génétiquement y vivent confinés et sont soumis à un stress permanent. L’air qu’ils respirent est chargé en ammoniac, ce qui affecte leur système respiratoire. Même si les élevages intensifs bien surveillés peuvent réduire la probabilité d’émergence de maladies, ils amplifient les risques. Si un virus s’introduit dans un élevage intensif, cela fait l’effet d’une allumette qu’on jetterait dans un puits de pétrole !
Vous êtes à l’origine en France, avec le psychologue grenoblois Laurent Bègue, de l’opération Lundi Vert, qui plaide pour un jour par semaine sans viande ni poisson au menu. Manger moins de viande, c’est la solution ? Il existe un consensus scientifique sur le fait que nous mangeons trop de viande dans les pays développés et qu’il est impératif de réduire notre consommation. Dans les faits, c’est compliqué, parce que nous sommes attachés au produit animal. C’est ancré dans notre biologie et fait partie de notre routine. Lundi Vert est une initiative douce et modérée qui vise à porter cette question dans les foyers français. La consommation de viande étant un phénomène social, collectif, il est important d’y apporter une réponse collective. En réalisant une même action, un jour précis de la semaine, on fait un petit pas tous ensemble dans la bonne direction !
Et ça marche ? Il est difficile de connaître réellement l’impact du Lundi Vert sur les habitudes de consommation des Français. Une enquête a révélé que la moitié des Français ont entendu parler de Lundi vert. Et nous en savons déjà beaucoup sur le profil des participants. Nous avons suivi le comportement d’un groupe de volontaires. Un mois après le lancement de la campagne, près de 25 000 personnes s’étaient inscrites sur le site lundi-vert.fr et avaient répondu à un questionnaire.
Quel est le profil type ? Plus fréquemment des femmes avec un niveau d’études et de revenus élevés. Fin 2019, nous avons par ailleurs mené une enquête auprès de 10 000 participants, qui a révélé que 89 % d’entre eux avaient l’intention de poursuivre Lundi Vert en 2020 et que 68 % avaient prévu de consommer encore moins de viande et de poisson à l’avenir. Enfin, autre victoire, depuis la rentrée 2019, les Crous de France (près de 800 au total) participent au Lundi Vert.
Comment le monde de l’élevage a-t-il réagi à l’initiative ? Nous avons été surpris par la virulence de certaines réactions. Il y a eu ce député qui s’est ainsi engagé à consommer de la viande chaque lundi ou encore la proposition d’un Samedi Rouge relayée par la présidente de la FNSEA. Notre démarche, soutenue par 500 personnalités (dont Isabelle Adjani ou Yann Arthus-Bertrand) et une majorité de scientifiques a parfois été perçue, à tort, comme une leçon de morale de bobos parisiens, une apologie du végétarisme ou encore la mise en cause de notre système agricole.
Vous pensez avoir été mal compris ? Peut-être qu’une erreur au début a été de communiquer de façon trop négative. Nous allons réfléchir à une approche plus positive. Au lieu d’encourager les gens à « ne pas » manger de viande, pourquoi ne pas leur proposer, par exemple, des idées de recettes pour cuisiner des légumineuses, dont les vertus pour l’environnement, la santé et l’agriculture sont formidables ?
La crise de la Covid-19 donne-t-elle désormais davantage de portée à votre propos ? Pour le moment, ce thème reste peu abordé dans le débat public, et rares sont ceux qui font l’effort de tirer le fil qui relie la Covid-19 à notre consommation de viande. Mais il est impossible de prévoir le monde d’après, et une prise de conscience est encore possible.