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Jean Couderc

« La gauche n’a jamais été une évidence » – Carole Delga

Alors que son nom revient avec de plus en plus d’insistance pour prendre la direction du Parti Socialiste après l’élection présidentielle, Carole Delga mène pour l’heure une campagne d’une grande loyauté en faveur de la candidate du parti, la maire de Paris Anne Hidalgo.



En 1972, François Mitterrand justifiait la rose comme emblème du PS en ces termes : « C’est pas facile, on s’y écorche les doigts, mais c’est beau. » 50 ans plus tard, on voit bien les écorchures…, mais est-ce toujours aussi beau ? Le socialisme, la gauche est un combat. Cela n’a jamais été une évidence. Le moment est difficile, sans nul doute, mais nos valeurs restent une attente forte des Français. Donc oui, la gauche est toujours aussi belle quand elle oppose la solidarité au libéralisme, le volontarisme au renoncement, l’escalier de la réussite à l’assignation à résidence, la sécurité à la radicalité, l’universalisme au différentialisme. On entend de plus en plus de voix à gauche expliquer que le vote utile, c’est Mélenchon. Pourquoi la ” gauche du réel, réformiste et moderne ” que vous appelez de vos vœux ne fait pas rêver les Français qui semble lui préférer davantage de radicalité ? Le problème n’est pas la radicalité, qui est souvent la facilité, mais la lisibilité de notre projet pour la France. Je crois que les Français, et le peuple de gauche, portent toujours des valeurs d’égalité, de solidarité et de justice sociale, qui sont le sel du projet socialiste. Mais nous n’avons pas assez travaillé depuis plusieurs années pour reconstruire nationalement une alternative crédible. Aujourd’hui, la candidate Anne Hidalgo le paie cher, alors que son programme est le plus juste, concret, sérieux, avec de vraies mesures de gauche et écologiste : la retraite à 62 ans, avec prise en compte de la pénibilité, l’augmentation du SMIC et le blocage des écarts de salaires en entreprise, l’aide aux jeunes pour mener leurs études et construire un projet professionnel…


Bouquet de roses, célébration des 30 ans de l’election de François Mitterrand, le 10 mai 2011 à Toulouse. / Photos Rémi BENOIT
Bouquet de roses, célébration des 30 ans de l’election de François Mitterrand, le 10 mai 2011 à Toulouse. / Photo Rémi BENOIT

Pourquoi le PS a-t-il, à votre avis, une aussi mauvaise image dans l’opinion publique ? Le PS remporte encore de grandes victoires : avec 58% en Occitanie, les électeurs nous ont donné, aux dernières élections régionales, le meilleur score de France. Nous avons également remporté des succès importants aux municipales, en Occitanie, à Montpellier, Vauvert ou Lodève, comme à Paris, Nantes, Rennes ou Nancy. Il ne faut pas l’oublier ! Mais il est vrai qu’aujourd’hui nous payons certains renoncements du passé. Alors que la gauche est à l’origine des grandes avancées sociales : l’abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans, les 35 heures, le revenu minimum de solidarité, le PACS et le Mariage pour tous… Une partie de notre électorat s’est sentie délaissée. Nous devons redevenir un chaudron à idées, proposer un nouveau projet, et répondre à cette envie de gauche. Cette gauche qui gouverne aujourd’hui en Espagne, au Portugal ou en Allemagne.

Une partie de l’opinion, notamment en Occitanie, a été surprise de vous voir à ce point engagée dans la campagne d’Anne Hidalgo. Pourquoi vous être lancée dans une bataille aussi périlleuse après avoir été la présidente de Région la mieux élue de France ? Les gens m’apprécient parce que je suis entière et fidèle à mes engagements. Je suis de gauche, et je crois vraiment que nous devons agir pour stopper le néolibéralisme, créateur d’inégalités. Quand j’entends Christophe Castaner dire que le RSA est une allocation de lâches, cela me révolte. La lâcheté, elle n’est pas du côté de ceux qui n’ont d’autre choix que de vivre avec 575 € par mois, mais du côté de ceux qui sont complaisants avec les puissants et méprisants avec les petits.


Parmi les mesures de votre candidate, quelles sont celles qui vous paraissent les plus urgentes ? Toutes les propositions sont importantes, mais elles ne dressent pas un tableau d’ensemble de notre projet. Pour moi, la priorité doit être l’éducation et l’orientation des jeunes, pour leur permettre de s’émanciper et de réussir quelle que soit leur origine sociale. Aujourd’hui, les enfants d’ouvrier ne représentent plus que 12 % des étudiants. Il est urgent de retravailler en profondeur notre système éducatif, en association étroite avec le corps enseignant qui ne demande, comme tout le monde, qu’à remplir au mieux leurs missions. L’autre grand sujet est le niveau de rémunération : nous ne pouvons plus accepter d’avoir 10 millions de pauvres en France, dont 2 millions de travailleurs pauvres… Travailler doit être justement rémunéré pour permettre une vie digne et préparer l’avenir de nos enfants.


Carole Delga, Anne Hidalgo, Georges Méric… / Photo Rémi BENOIT Photo
Carole Delga, Anne Hidalgo, Georges Méric… / Photo Rémi BENOIT Photo


Vous déploriez récemment que la fidélité soit désormais perçue comme un aveuglement, la loyauté un entêtement et l’engagement une idéologie. Aujourd’hui, auprès d’Anne Hidalgo, vous êtes porte-parole d’une candidate à qui les sondages ne promettent pas plus de 3%. Jusqu’où ira votre fidélité au Parti Socialiste ? C’est d’abord une fidélité à moi-même. Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. Et je vous le confirme, je ne supporte plus cet opportunisme à la petite semaine qui amène certains à tourner leur veste dès que la lumière brille un peu plus fort chez le candidat d’à côté. Et c’est aussi la fidélité que je porte aux militants et aux sympathisants socialistes qui, dans les tempêtes, continuent à se battre pour notre parti.


En 2016, lors des commémorations du 20e anniversaire de sa mort, vous rappeliez que « c’est François Mitterand qui a amené la gauche à comprendre qu’il n’y avait de victoire possible que dans l’union. » Pensez-vous que la gauche unie aurait pu remporter cette présidentielle ? La gauche unie a remporté de belles victoires à Paris, Montpellier, Nantes, Nancy, en Région Centre, en Nouvelle Aquitaine et bien sûr en Occitanie. Je suis convaincue que ce qui marche en local peut fonctionner nationalement, mais cela nécessite à la fois l’union des forces de gauche républicaine et écologiste, mais également un travail de clarification. Nous devons remettre la vie des gens au cœur de notre projet : la promesse républicaine, la transition énergétique, redonner les moyens d’une souveraineté industrielle, énergétique, sanitaire ou alimentaire. Nous devons redevenir le parti des classes populaires. Et nous devons être fermes sur les principes républicains, la défense de la laïcité, la lutte contre l’extrémisme et le communautarisme, le combat contre les discriminations, le droit à la sécurité.


Le PS peut-il se remettre d’une seconde défaite cuisante à l’élection présidentielle après celle de Benoit Hamon en 2017 ? Être de gauche, c’est un état d’esprit, une façon de voir la vie. Nombreux sont les Français qui partagent toujours cette « envie de gauche », donc quelle que soit la forme du mouvement politique qui incarnera nos valeurs, la gauche est loin de disparaître. Mais nous devons travailler à une reconstruction de notre organisation et surtout repartir du cœur battant du Parti Socialiste : les militants. C’est avec eux, avec les élus locaux, avec la société civile que nous pourrons donner un nouveau souffle au socialisme.


Le principe même du scrutin présidentiel serait-il fragilisé en cas de forte abstention dans quelques jours ? Je ne crois pas que le scrutin soit la véritable cause, non, mais le mandat sera dur. Emmanuel Macron a concentré tous les pouvoirs entre les mains de quelques décideurs parisiens. Il faut donner un grand coup d’oxygène à notre démocratie et, comme le propose Anne Hidalgo, mieux associer les Français. Aujourd’hui, je suis vraiment inquiète : si l’exutoire n’est pas dans les urnes, il risque d’être, avec violence, dans la rue. Nous devons redonner toute sa place au peuple de France.


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