Comme la plupart des Toulousains, nous ne sommes pas très calés en basketball à la rédac de Boudu. C’est grave ? Franchement ? Oui. Non seulement vous passez à côté d’un sport magnifique, mais en plus vous tournez le dos à une partie de l’histoire de votre pays et de votre ville. Songez qu’avant les années 1950, Toulouse était tout autant une ville de basket qu’une ville de rugby… Peut-être même davantage passionnée par le premier que par le second.
En quoi le basket fait-il partie de l’histoire de Toulouse ? L’épisode le plus emblématique où se confondent histoire du basket toulousain et grande histoire, est certainement la tenue du premier France-Espagne jamais organisé. C’était en mars 1943.
La rivalité historique entre le basket français et le basket espagnol est née au stade des Minimes, le 7 mars 1943.
En pleine occupation ? Oui, c’est une histoire folle qu’on doit à Charles Pilé, alors président de la ligue des Pyrénées, qui gérait le basket de la zone libre, du Gers jusqu’à Montpellier. Cet homme à l’accent rocailleux délicieux, se met un jour en tête d’organiser chez nous une rencontre entre la France libre et l’Espagne franquiste. À l’époque, le basket est très populaire à Toulouse. Pour se distraire des malheurs de la guerre, on y joue un peu partout, et on se presse par milliers pour assister à des rencontres.
Comment Charles Pilé est-il parvenu à réunir deux équipes nationales en pleine guerre ? La chose a pris du temps, et la rencontre a été reportée à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le mois de mars 1943 soit choisi par les deux parties. Or, le 1er mars, la ligne de démarcation entre l’ancienne zone libre et la zone occupée est définitivement supprimée. Les nazis prennent possession de la frontière franco-espagnole, et bloquent à Port-Bou les basketteurs espagnols en route pour Toulouse. Ils ne réussiront à se faufiler en France que quelques jours plus tard.
Quid des joueurs français ? Tous n’arrivent pas à Toulouse à temps du fait de la panique générale de ce mois de mars. Pour ceux qui y parviennent, le hic, c’est le logement. Les hôtels toulousains sont complets. Charles Pilé, qui est plein de ressources, parvient à les loger dans une maison close derrière la place Jeanne-d’Arc. Et finalement, le match a lieu le 7 mars au stade des Minimes, devant près de 8 000 personnes, avec une rencontre de basket féminin en lever de rideau.
Quel souvenir ce match a-t-il laissé sur le plan sportif ? On peut dire sans trop se mouiller que la rivalité historique entre le basket français et le basket espagnol est née au stade des Minimes ce jour de mars 1943. Les Espagnols étaient déjà très bons, mais les Français sont parvenus à arracher la victoire 25-24 grâce à un panier inespéré du parisien Henri Lesmayoux.
Nous voilà convaincus de l’importance du basket ! Pourriez-vous combler nos lacunes en quelques mots ? Essayons ! Le basket a été créé en décembre 1891 par James Naismith, un prof d’éducation physique de Springfield, qui cherchait un moyen de distraire les jeunes gens de la YMCA (Young Men’s Christian Association). Il voulait faire du basket un sport sans contact dans lequel le respect de l’adversaire est primordial, un moyen d’éducation aux valeurs chrétiennes, et même un vecteur d’évangélisation.
Quand et comment le basket est-il arrivé en France ? Quand les soldats américains ont débarqué en Europe en 1917, les officiers français ont été stupéfaits de constater leur supériorité sur les européens dans le jet de grenade. Ils ont vite compris que les sports américains (football américain, baseball et basketball) amélioraient la force, la coordination et l’adresse des jeunes gens. Ils en ont encouragé la pratique dès 1918 en France, mais seul le basket est parvenu à percer.
Pour quelle raison ? La volonté des instructeurs des YMCA a été décisive dans la réussite de l’enracinement du basket en France. Sans eux, ce sport serait peut-être resté aussi confidentiel chez nous que le baseball.
Quand a-t-on commencé à jouer au basket à Toulouse ? Les premiers clubs sont apparus dans les années 1920 et se sont multipliés dès les années 1930 au gré des antagonismes entre les facultés, entre les curés et les rouges, entre les bourgeois et les ouvriers, entre les cheminots (TCMS) et les gars de l’aviation (TOAC) ou de la Poudrerie. Par exemple, le patronage des Cadets de Saint-Etienne (leur terrain jouxtait la cathédrale) était en concurrence avec les basketteurs de l’Étoile rouge de Toulouse. Ces derniers, très engagés à gauche, jouaient en rouge et noir sur un terrain proche de la Colonne. Ils évoluaient dans le championnat FSGT et ont fourni beaucoup de grands joueurs. Ce qui est passionnant, c’est que l’évocation du basket d’hier révèle une géographie toulousaine disparue : le terrain démontable des années 1930 sur la place du Capitole, le stade des Minimes où les matchs de basket réunissaient des milliers de spectateurs, ou encore le mythique gymnase du Pré-Catalan, une ancienne salle de music-hall située au 78 allées Jean-Jaurès. Ses balcons et ses gradins de fortune ont vibré aux exploits du Racing Club Municipal de Toulouse (qui a connu la 1ère division pro) jusqu’à ce qu’on détruise la salle en 1969 pour bâtir à sa place une tour de 17 étages.
Dans les véritables aventures sportives, l’essentiel ne se déroule pas sur le terrain, mais autour de la table. Comment expliquer, avec ce passé glorieux, la relative indifférence des Toulousains d’aujourd’hui pour le basket ? Ce sport a disparu des radars toulousains dans les années 70-80 et n’est jamais revenu sur le devant de la scène, à part en 1996 avec le titre de Pro B des Spacer’s. Cela s’explique d’abord par le manque de moyens octroyés par la mairie de l’époque ; ensuite par la fierté du public toulousain, lassé que ses basketteurs n’aient jamais gagné de titre majeur (et la défaite, ici, ça ne pardonne pas !). Et enfin parce que, dans les années 1970 et 1980, les grandes gueules et les figures iconiques du sport toulousain officiaient sur les terrains de foot et de rugby, et pas sur les parquets de basket. C’est dommage, quand on y pense, parce que les valeurs qu’il véhicule collent parfaitement à l’identité simple et rurale de Toulouse.
Plus que le rugby ? Au moins autant ! Pour jouer au basket, il ne faut pas grand chose : un préau d’école ou une cour de presbytère, deux équipes de cinq, une bonne forme ou, à défaut, une dose de hargne. Cela dit, si vous observez bien la liste des équipes de basket de Pro A, vous ne trouverez aucune grande ville (à part Lyon, mais par l’entremise de Villeurbanne). Le basket est un sport de villes moyennes soutenues par de petites industries. Un sport à taille humaine. C’est sans doute pour cela que le basket s’est à ce point implanté dans le Sud-Ouest rural, en particulier dans les Landes et le Béarn. Et c’est sans doute pour cela qu’on trouve dans l’encadrement du basket français une majorité de gens du Sud-Ouest, notamment de Toulousains. D’ailleurs, c’est à l’un d’entre eux que le basket français doit sa structuration, son organisation et même sa mémoire. Un homme qui est même à l’origine de la rédaction de Géants.
À qui faites-vous référence ? À Gérard Bosc. Un grand monsieur du basket né à la fin des années 1930 (il a joué à Toulouse chez les Cadets de Saint-Etienne et au TOAC) qui a entrainé Hufnagel, Dacoury et d’autres grands avant de devenir DTN et secrétaire général de la Ligue. Comme il s’est aperçu dans les années 1990 qu’il n’existait pas de somme sur l’histoire du basket français, il est retourné à la fac, et a pondu une thèse sur le sujet. En 2009, il m’a demandé de concevoir la muséographie du musée du basket, et c’est comme cela que j’ai attrapé le virus de ce sport. Alors, vous aussi, comme beaucoup de Toulousains, étiez passé à côté du basket ? Pas complètement. J’avais 20 ans pendant la grande épopée d’Orthez, et cette équipe a marqué ma jeunesse de Toulousain. Il faut dire qu’enfant et adolescent, je ne vivais que par les émotions du sport. J’écoutais les retransmissions des matchs d’Orthez sur Sud Radio, bercé par la voix de Christian Isarié. Les matchs étaient stressants, épiques, fantastiques. Les joueurs étaient des héros, et une porte ouverte sur un monde imaginaire. Tout ça me faisait grimper aux rideaux ! Je dois au sport – en tant que fantasmagorie – l’essentiel de ce que je suis.
C’est-à-dire ? Je suis nul en sport. Je ne pratique pas. Mon sport à moi est cérébral et imaginaire. Je suis multi-champion du monde dans la projection et dans le rêve. Tout a commencé quand j’avais neuf ou dix ans, en 1977, avec les matchs de foot de l’AS Saint-Étienne et Bernard Thévenet sur la route du Tour de France. Les sportifs étaient mes héros, je lisais leurs aventures dans le journal, j’écoutais le récit de leurs exploits à la radio. Je notais tous les résultats de tous les sports sur de petits carnets. La moindre rencontre était pour moi comme une grande épopée. À tel point que, pour l’enfant que j’étais, un match de rugby La Voulte-Graulhet valait mille fois la bataille d’Austerlitz. J’ai appris à lire dans L’Équipe. Je n’ai pas connu mes premiers chocs artistiques dans l’art mais dans la course de Carl Lewis aux J.O. de Los Angeles de 1984. J’ai découvert mon goût pour le graphisme avec les maillots de vélo et les posters de match, et appris la photo en affichant dans ma chambre des images de presse sportive. C’est dans cet état d’esprit que j’ai abordé la rédaction de Géants… un état d’esprit très xxe siècle.
Qu’est-ce-donc que cet état d’esprit xxe siècle ? Le sport en tant qu’épopée est un truc du siècle passé. Celui de notre temps est un spectacle. Mais malgré tout, on peut encore y trouver son compte et conserver sa fraîcheur et ses rêves. Si on regarde le sport de trop près et trop froidement, c’est triste et lassant. Il faut le considérer avec la candeur d’un enfant. De temps en temps, comme je vis à Paris désormais, j’aime bien aller voir jouer le Racing à Colombes quand il fait froid et qu’il pleut. C’est une façon de coller à cet état d’esprit…
Je suis nul en sport. Mon sport à moi est cérébral et imaginaire.
Comment avez-vous réuni toutes les anecdotes publiées dans Géants ? Mon coauteur, Daniel Champsaur, s’est chargé de la partie historique. Et moi, j’ai sillonné la France pour rencontrer les légendes du basket, des stars aux anonymes.
Quel souvenir en gardez-vous ? Le basket est un univers de géants qui ont le cœur sur la main. Des types ancrés dans la terre, fidèles et dignes. On trouve chez eux les mêmes qualités que chez les rugbymen, la pudeur et la réserve en plus. J’ai adoré cette plongée dans ce monde. Et si j’avais accepté toutes les propositions d’apéro, de dîner, de discussions prolongées, de récits supplémentaires, je crois que j’y serais encore !
Et si vous ne deviez garder qu’une anecdote de ce tour de France ? Sans hésiter le souvenir de Cloclo Moulia, patronne de l’hôtel-restaurant Moulia. Ce resto, à la fois cantine, refuge et foyer de l’équipe d’Orthez, est situé à 200 mètres de la Moutète, où se sont déroulés tant de matchs de légende. Quand on l’a interrogée, Claudette nous a confié qu’avec la préparation des repas et de la réception d’après-match, elle n’avait jamais assisté à la moindre rencontre de basket à la Moutète. Pourtant, elle a pleinement vécu les grandes années de ce club d’exception. C’est bien la preuve que dans les véritables aventures sportives, l’essentiel ne se déroule pas sur le terrain, mais autour de la table. Géants, toute l’histoire du basket-ball – Par Philippe Cazaban et Daniel Champsaur – Chronique Éditions