Noyé par les grèves, les Gilets jaunes, le covid, le succès des restos de périphérie et l’inflation, le Bistrot d’Éric ne remontera pas à la surface. Cette table toulousaine de référence pour les amateurs de poisson sera remplacée par une supérette. Boudu faisait partie des convives du dernier service.
Depuis 35 ans, les amateurs de poisson se donnent rendez-vous au Bistrot d’Éric, à deux pas de la place Dupuy. Au milieu des bibelots de la mer et du papier peint teinté d’archives toulousaines, le chef assure aujourd’hui son dernier service. « J’ai passé ma vie dans ce restaurant. À un moment, je vivais plus avec mes clients qu’avec ma famille. » Le restaurant est complet. Les habitués sont venus saluer l’équipe et s’imprégner du lieu une dernière fois.
Adolescent, Éric Besson ouvre des huîtres au Pyrénéen, institution toulousaine, pour payer ses études de kiné : « Martial, le chef, trouvait que je me débrouillais bien, alors un jour il m’a proposé de venir travailler midi et soir. » Emballé, il arrête les études, au grand dam de ses parents. Il part quelques années après faire la saison comme poissonnier au Cap-d’Agde. Là-bas, il crée en 1982 son premier restaurant, La Criée. À la naissance de sa fille, il revient à Toulouse en famille, et ouvre le bistrot de la Criée, qui deviendra 11 ans après le Bistrot d’Éric. Au fil des années, la poissonnerie populaire de quartier où « les clients choisissaient le poisson à l’étal », est devenue une table de référence à Toulouse.
En 2019, premier coup dur avec les grèves et les Gilets Jaunes, suivis de près par le Covid : « Tous les weekends, c’était la guerre dans les rues… on a perdu 20 à 30 % de clientèle. » Avec les restrictions sanitaires, les modes de consommation évoluent. La livraison à domicile se généralise, et quand ils sortent, les Toulousains privilégient le plein air et les lieux ouverts. En périphérie, les nouvelles guinguettes cartonnent : « Ça a fini de siphonner le centre-ville. Les aides n’ont pas été suffisantes pour combler le manque. » Terrassé par l’inflation et l’augmentation du prix de l’énergie, Éric Besson n’a pas d’autre solution que de vendre. « Je n’ai pas eu le choix » confie-t-il, la gorge nouée.
Pas question pour autant d’abandonner l’équipage : « J’ai des gars, le plongeur ou le chef, qui ont plus de 20 ans de boîte… Je ne pouvais pas les laisser sur le bord de la route. Je les ai replacés chez des amis. » Celui qui a passé sa vie à travailler dans son restaurant est depuis quelques jours à la retraite. « Le samedi, je vais enfin voir tous les matchs de rugby, le dimanche profiter de ma famille, et le lundi jouer au golf face au Pic du midi… » La retraite ne sera pas totale. Eric Besson a déjà repris les rênes de son restaurant La Finca&Co, à Rouffiac. Il compte bien ajouter quelques poissons à la carte, histoire de repêcher les habitués du Bistrot d’Éric.