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BOUDU

Le vert à moitié plein – Aéroport de Toulouse-Blagnac

« Comme M. Jourdain fait de la prose, on fait du RSE depuis longtemps sans le savoir ! » La directrice de la Responsabilité sociétale et Ressources humaines de l’Aéroport Toulouse-Blagnac, Christine Courtade, aime bien convoquer Le Bourgeois gentilhomme pour qualifier la politique environnementale de la maison. « Cela fait des décennies que notre profession et l’écosystème aérien dans son ensemble sont conscients qu’il faut s’engager à fond là-dedans. Nous avons choisi de ne pas attendre que la règlementation nous contraigne pour nous pencher sur ces questions » explique-t-elle.

Désormais, l’aéroport dispose d’une direction dédiée à ces problématiques, d’objectifs ambitieux (aéroport zéro carbone, 100 % autonome et alimenté à 100 % en énergies renouvelables produites sur place) et d’évaluations crédibles. Seulement voilà, le message a du mal à passer les glissières du périph’ : « Ce qui est embêtant c’est que ça ne se sait pas, se désole Christine Courtade. On ne parle de nous que par nos impacts négatifs, notamment à propos de la nuisance qui est la plus difficile à traiter : le bruit. Les avions font du bruit, on le sait bien. On met tout en œuvre pour limiter cet impact, mais c’est difficile. Et cet état de fait éclipse tous les efforts que nous faisons depuis 20 ans pour limiter l’impact de l’aéroport sur l’environnement. » Si tout s’est accéléré en 2019 quand les actionnaires d’ATB ont inscrit la réduction de l’empreinte environnementale en bonne place dans le projet de l’entreprise, la première grande initiative verte remonte à 2009. Cette année-là, les huiles de la CCI, de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et de la Lyonnaise des Eaux, ont inauguré en grande pompe avec le président du directoire de l’aéroport de l’époque Jean-Michel Vernhes, une station de traitement des eaux pluviales. Récupérant l’eau dans les zones les plus sensibles (devant l’aérogare, là où peuvent se produire des déversements accidentels) la station la rejette en bout de ligne conforme à la règlementation.

L’eau traitée gagne ensuite le Riou, ruisseau blagnacais qui naît sous la piste de l’aéroport et se jette dans la Garonne au milieu de la zone maraîchère des Quinze-Sols. L’été, l’eau est débarrassée des poussières et impuretés. L’hiver, elle est lavée du glycol, produit employé au dégivrage des avions : « La station a fait l’objet d’un dépôt de brevet international, se réjouit Anne Julia, responsable développement durable de l’aéroport depuis 20 ans. Son fonctionnement est très spécifique : physico-chimique l’été, et bactériologique l’hiver, puisque ce sont de petites bactéries qui mangent le glycol. »


Aéroport Toulouse Blagnac

Cette chaufferie biomasse construite par Veolia chauffe trois des quatre halls de l’aéroport depuis cet hiver.


Free cooling et autocollants C’est également bien avant 2010 que la question de l’énergie s’est imposée dans les halls et les bureaux de l’aéroport. La première mesure fut de décréter la chasse aux pratiques énergivores et de changer les habitudes. Une somme de détails anodins en apparence, qui ont pourtant pesé lourd dans la réduction de 50% de la consommation d’énergie de l’aéroport obtenue en une décennie : « J’aime bien parler des projets les plus innovants et les plus visibles, mais ils cachent souvent le travail de fourmi de la direction technique. Elle traque chaque surconsommation, piste la moindre économie potentielle et challenge nos choix et achats à l’aune de leur impact environnemental » insiste Anne Julia. Au fil des années, la climatisation des halls a par exemple été revue. Terminé les 19°C dans l’aérogare quelle que soit la température extérieure. Effet frigo qui faisait sentir le choc dès l’aérogare, et qui, outre les consommations inutiles, conduisait salariés et voyageurs à se nouer des foulards autour du cou en plein mois d’août pour éviter les angines. Désormais la température intérieure est régulée en fonction de la température extérieure, avec un delta assurant que la clim ne se déclenche qu’au-delà de 26°C. Des détecteurs de CO mesurent par ailleurs en permanence la qualité de l’air, et n’entraînent son renouvellement que lorsqu’il est nécessaire. Enfin, ATB pratique ce qu’on appelle le free cooling, locution anglaise qu’on pourrait avantageusement remplacer par rafraîchissement gratuit, équivalent français moins chic mais plus clair. Cela consiste tout simplement à renouveler l’air des halls en puisant l’air neuf à l’extérieur au plus frais de la nuit. Dans les bureaux, même chasse au gaspillage. Des lumières intelligentes s’éteignent quand la luminosité extérieure est forte ou lorsque le dernier occupant de la pièce a quitté les lieux. Plus efficace que de rappeler sans cesse aux salariés d’éteindre la lumière. Il y avait bien des autocollants un peu partout sur les murs qui disaient : « Pense à éteindre la lumière ! », mais à force plus personne ne les voyait. La preuve, ils y sont encore, et personne ne les décolle. La clim, quant à elle, est coupée par défaut. Son déclenchement est manuel, et ses cycles courts.


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Partenariats public-privé La chasse au gaspi ne suffisant plus, l’heure des grands projets est vite arrivée. Grands projets impossibles à mener seuls, mais envisageable dans le cadre de partenariats public-privé : « L’aérogare était chauffé au gaz. Nous avons donc lancé une étude pour mesurer la rentabilité d’une chaufferie biomasse, se souvient Anne Julia. Comme nous n’étions pas de grands consommateurs, la rentabilité était à 20 ans. Économiquement, ça ne marchait pas. Les actionnaires de l’époque n’ont pas retenu la proposition. »

ATB se tourne alors vers la mairie de Blagnac pour se connecter à son réseau de chaleur terrestre alimenté par le puits géothermique du Ritouret. En apprenant que l’aéroport vient de renoncer à un projet de chaufferie biomasse, la mairie, puis la Métropole, se montrent intéressés. « On en a profité pour élargir notre projet à un partenariat avec Toulouse Métropole et Blagnac Énergies Vertes, l’entreprise retenue pour la délégation de service public, détaille Christine Courtade. Nous avons proposé d’accueillir cette usine sur notre site (une aubaine parce qu’il n’est pas facile de trouver en zone urbaine un terrain pour ce genre d’installations) et d’en devenir les premiers clients. Gagnant-Gagnant. » Depuis octobre, la chaufferie de 1600 Kw souffle ainsi son air chaud dans trois des quatre halls de l’aéroport avec une énergie entièrement renouvelable, et profite à d’autres clients de la zone. C’est ce même principe qui préside à la destinée du programme HyPort : une station de production et de distribution d’hydrogène qui devrait être opérationnelle avant la fin de l’année 2022. L’aéroport, qui n’a pas les épaules pour assumer seul un tel équipement, a concrétisé ce projet lancé par la Région en partenariat avec la société HyPort et Engie, en accueillant la station dont il sera, là encore, le premier client. En attendant l’installation de la station, les trois bus exploités par la société Transdev, qui circulent d’une part côté piste, d’autre part entre l’aérogare et les parcs de stationnement les plus éloignés, roulent déjà à l’hydrogène. Le carburant arrive pour l’heure en camion de Boussens.

À terme, ATB se rêve précurseur avec la création d’un centre multimodal dédié au transport sans carbone. On parle d’une station-service où le quidam se rendra faire le plein de son véhicule en électricité verte ou en hydrogène. Autre partenariat public-privé d’envergure autour des véhicules : le projet COMMUTE, qui vise à désengorger le trafic automobile aux abords de l’aéroport et à réduire les émissions qu’il induit. Avant le lancement du projet, la zone concentrait tous les maux toulousains en la matière : 83 % de déplacements en voiture dans le secteur, dont 71 % de ce que les spécialistes appellent autosolistes, (comprenez des gens seuls au volant).

Conduit par Toulouse Métropole en partenariat avec Airbus, ATR, Safran, Sopra Steria, et le Club Réussir, le projet a donné rapidement de bons résultats. « COMMUTE était concentré au départ sur les transports en commun, rappelle Christine Courtade, mais le projet a évolué avec l’ajout de pistes cyclables, l’incitation au covoiturage avec l’appli Karos, le télétravail etc. » Conséquence, l’usage de la voiture a déjà chuté de 10 %, l’usage du vélo a augmenté d’autant, et 130 000 covoiturages ont été effectués en 2 ans.


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Bus hydrogène de l’aéroport, dans l’atelier de la société albigeoise SAFRA.


Enfin neutre Voilà sans doute qui a contribué à faire obtenir à l’aéroport de Toulouse il y a deux mois à peine, le label Airport Carbon Accredited (ACA), certifiant la neutralité carbone des activités de l’aéroport : « C’est une démarche initiée par l’association des aéroports européens. Elle consiste à considérer que, bien que le poids carbone du transport aérien procède essentiellement des avions eux-mêmes, il est urgent de réduire au maximum le carbone des activités au sol » relate Anne Julia. Membre du programme depuis 10 ans, ATB a réduit dans cet intervalle ses émissions de 42 %, pour atteindre 1800 tonnes équivalent CO. L’aéroport toulousain fait ainsi partie des 47 du continent les plus performants en la matière.

Avec, outre les mesures mentionnées plus haut, l’achat d’électricité 100 % renouvelable, la réduction de la flotte de véhicules et l’achat de voitures électriques. Le reste,est compensé : « On vient compenser avec des programmes labellisés en France et en Europe, poursuit Christine Courtade. Le principe de cette accréditation carbone est contrôlé par des auditeurs. Il arrive qu’on ne trouve pas de projets en France. Quand on a fait le choix de compenser, le label bas carbone français n’existait pas. » En 2022, ATB participera ainsi à un projet de restauration des tourbières en Indonésie. La question de la compensation, le côté entre-soi de l’asso et le fait qu’elle n’intègre pas les décollages et les atterrissages des avions dans le calcul global des émissions de gaz à effet de serre, vaut souvent à la démarche ACA les foudres des associations de défense de l’environnement. Griefs injustifiés pour Anne Julia : « Le côté corporate ne doit pas masquer l’innovation de la démarche, qui a été la première du genre. Les aéroports ont été la première industrie à poser la question du carbone » justifie-t-elle. La démarche dépasse de plus les seules activités relevant directement de l’aéroport. Les 150 entreprises présentes sur le site (commerces, restaurants etc.) sont vivement incitées à suivre le mouvement et à s’appliquer les mêmes contraintes. Les efforts s’immiscent jusque dans les cuisines et les garde-mangers des restos, qui cuisinent désormais sur place des produits le plus souvent frais. À Toulouse comme partout dans le monde, la mue verte aéroportuaire est lancée. Et quelles que soient ses motivations (sociétale, environnementale, image de marque, ou les trois) elle n’est pas près de ralentir. Question de survie, sans doute, à long terme pour les aéroports régionaux. Et question de principe… et de bonne conscience, pour tous les passagers.

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