En tête du championnat de Pro D2 avant l'arrêt de la saison, Colomiers Rugby espérait encore retrouver l'élite du rugby français. L'occasion de rappeler que, dans les années 1990, le club à la colombe, emmené par une génération dorée, est passé à un cheveu du Brennus sans jamais se départir de son esprit amateur.
« C’est vraiment couillon pour nous. Juste l’année où nous étions premiers avec dix points d’avance sur le troisième et une demi-finale quasi assurée à domicile. » Alain Carré ne peut s’empêcher de regretter cette fin abrupte qui prive son club d’un possible retour en Top 14. Début mars, alors que l’épidémie de Covid n’avait pas encore mis la France sous cloche et le sport à l’arrêt, le président de Colomiers Rugby, touché par le virus quelques jours plus tard, envisageait cette possibilité avec le sourire. « Si les joueurs se le gagnent sur le terrain, je vais les accompagner. Je vais me donner corps et âme, dans cette nouvelle aventure », nous avouait-il alors, rêvant sans doute de voir les travées du stade du Sélery vibrer à nouveau, vingt ans après son unique finale de championnat de France. Comme un hommage à celui qui lui a donné son nom actuel, l’ancien président Michel Bendichou. « Ça aurait été magnifique que Colomiers se retrouve en barrage contre le Stade Français (son adversaire en finale, ndlr), vingt ans après », sourit Patrick Tabacco, passé par les deux clubs. « Quand on voit les effectifs, les budgets, les infrastructures, ça n’a rien à voir. L’équipe de la banlieue qui voulait taper le gros, c’est fini, ça n’existe plus. On vit notre vie », regrette Alain Carré. Car Colomiers aime sa différence. Comme lorsqu’elle était la seule ville de France avec la priorité à droite sur les ronds-points. « Putain, c’était la galère, se remémore l’ancien trublion de Canal + Philippe Guillard. Il ne fallait pas regarder à gauche. » Pour nous, ce sera un coup d’œil dans le rétro. Le 15 juillet 2000, l’US Colomiers, privé de Fabien Galthié, laisse le bouclier de Brennus au Stade Français (28-23). Le club vient de disputer sa troisième finale en trois ans, après le titre en Conférence européenne de 1998 et la finale de Coupe d’Europe 1999. Pour cette génération dorée, ces résultats sont l’aboutissement d’une aventure débutée douze ans plus tôt avec une accession en groupe A (la première division de l’époque). Le rugby est encore amateur et le petit club de la banlieue toulousaine se fait une place dans l’élite. Alors que la ville connaît un essor important grâce à Airbus, l’US Colomiers, nourri par son excellente formation, prend son envol. Une ascension qui doit beaucoup à son président Michel Bendichou, décédé en 2004, le « papa poule » de la grande famille columérine, selon Jacques Brunel, dont Alain Carré est le digne successeur. « Quand on parle d’une famille, ça a du sens à Colomiers », insiste l’ancien sélectionneur du XV de Frances. Autre figure emblématique du club, Jean-Luc Sadourny, n’hésite pas à parler de « père spirituel qui savait tirer tout le monde vers le haut. » Personnage « haut en couleur », « malin », « affectueux », « franchouillard », Michel Bendichou incarne à merveille l’insouciance d’une époque où le professionnalisme, bien qu’entré en vigueur en 1995, n’avait pas encore imprimé sa marque. Un état d’esprit qui se ressent également sur le terrain, où les joueurs disposent d’une liberté totale, guidés par un appétit de jeu sans fin. Ancien trois-quarts aile du Racing Metro, Philippe Guillard se souvient « de mecs bonnards qui avaient envie de s’éclater sur le terrain. C’était une équipe redoutable. » « Reconverti dans la connerie » à Canal +, La Guille se souvient de « types très très très heureux quand je venais faire le con avec eux, pour mon Petit Journal. On a quand même fait des sketchs mémorables… Il y avait du lourd, quatre ou cinq internationaux, mais ils avaient la connerie. »
Un président, des insouciants Pour partie, cette génération a grandi au sein du club columérin, comme le demi de mêlée Fabien Galthié et l’arrière Jean-Luc Sadourny, qui ont marqué le XV de France. « Des patrons. L’un gérait les avants et l’autre les trois-quarts », résume Patrick Tabacco. En voisin attentif, Guy Novès a pu admirer la qualité de la formation columérine, « l’un des facteurs importants de la réussite… et du retour de Colomiers au plus haut niveau ! » Cette image à part dans le rugby français, Colomiers Rugby la cultive et sait en faire une force au fil des ans, prouvant aussi sa capacité à propulser certains joueurs vers le haut niveau. « Au-delà des Galthié et Sadourny issus du centre de formation, Yannick Jauzion, Thierry Dusautoir, ou plus récemment Thomas Ramos sont passés par le club. », relève Didier Lacroix, le président du Stade Toulousain. Mais le côté insouciant, presque étudiant, des débuts trouve ses limites face à des équipes de très haut niveau. Aussi, lors de son premier quart de finale de championnat en 1992 contre le Castres Olympique, Colomiers s’incline au Stadium de Toulouse en dépit d’un jeu enthousiasmant. Lorsque Jacques Brunel débarque en 1995 en cours de saison, il pose ses conditions au président : « Je lui ai demandé de cesser de minimiser la gravité des défaites. Quand son équipe perdait, il disait toujours “C’est pas grave les gars”. Quand tu veux mener ton équipe à la victoire, il ne faut pas dire ce genre de choses » sourit-il. Le Gersois fait passer un cap à l’équipe. Conscient du potentiel des joueurs dont il dispose, il structure petit à petit le club et recrute les pièces manquantes pour construire une équipe de haut niveau, notamment dans le paquet d’avant (Laurent Labit, Stéphane Delpuech, Patrick Tabacco etc.) : « Quand il a commencé à nous parler de titre de champion de France, ça nous faisait halluciner, rigole aujourd’hui l’ancien troisième ligne. Pour nous, ses ambitions étaient démesurées. Mais au moins il croyait en nous. » La suite lui donnera raison avec trois finales consécutives dans les compétitions les plus prestigieuses, et des succès mémorables comme celui face au champion d’Europe briviste en phase finale du championnat 1997 au terme d’une véritable orgie de jeu. Cette bande de potes déjoue les pronostics et son statut de Petit Poucet. « C’étaient les adversaires qui perdaient contre Colomiers et pas Colomiers qui gagnait », souligne avec malice Patrick Tabacco. La saison 1997-1998 est l’une des plus marquantes avec une demi-finale de championnat de France, perdue de peu face à Perpignan et un titre en Conférence européenne remporté largement contre Agen. L’année suivante, Colomiers fait encore mieux en se hissant jusqu’en finale de la grande Coupe d’Europe. Match perdu logiquement contre les Irlandais de l’Ulster. Nostalgique, Jacques Brunel se souvient de ces belles heures de haut niveau et d’esprit amateur : « Il n’y avait qu’une seule tribune. Tout se faisait dessous, dans la même pièce : la vidéo, le kiné, les repas… ».
Derby et barbichette Dans cette période faste, un seul adversaire a longtemps résisté au club de la colombe : le Stade Toulousain. Le derby haut-garonnais donnait lieu à des matchs engagés, attendus par les supporters des deux camps. En plus de 20 ans sur le banc des Rouge et Noir, Guy Novès a connu nombre de rencontres « âpres, tendues » où personne ne voulait courber l’échine. « C’était comme une petite finale. Avant d’être maître de l’Hexagone, il fallait être maître dans sa région. » Le Stade remporte tous les derbys des années 1990, avant de s’incliner pour la première fois en décembre 2000. Pour certains joueurs, cette rivalité a un goût spécial. De Stéphane Ougier à David Skrela, en passant par Francis Ntamack, Yannick Jauzion ou Yannick Bru, les joueurs passant d’un club à l’autre sont légion. Pour Bru, alors barré au Stade par Patrick Soula, et venu à Colomiers gagner du temps de jeu il existait à l’époque « une rivalité exacerbée, même si l’on était lucide sur le rapport de force, mais cela n’avait rien à voir avec ce que je vis aujourd’hui avec Bayonne et Biarritz, une vraie haine du voisin. » Reste que tout le monde n’a pas digéré son retour chez les Rouge et Noir : « J’étais un peu innocent à l’époque et certains ne m’ont plus adressé la parole. Cela a clos un chapitre relationnel », regrette-t-il. En dépit d’une rivalité sportive bien réelle, le respect est de rigueur entre les deux clubs. Les relations sont même parfois familiales, à l’image du duel entre Émile et Francis Ntamack : « C’était particulier parce que sur un terrain de rugby, il y a de l’engagement. Même si on faisait en sorte de pas trop se croiser », glisse Émile. Lui aussi n’a que de bons souvenirs, à une époque où le rugby universitaire était beaucoup plus développé. « Avec Fabien, on a fait la fac ensemble. J’ai partagé ma chambre avec Jean-Luc pendant quasiment toute ma carrière internationale. C’était tous des garçons adorables », insiste l’ancien trois-quarts toulousain. Même chose du côté des présidents : « Michel Bendichou était un ami, raconte René Bouscatel. Je me souviens que nous avions passé, la veille de la finale de Coupe d’Europe qui opposait Colomiers à l’Ulster à Dublin, une soirée mémorable. » Cette bonne entente a également alimenté les sketchs de Philippe Guillard. Patrick Soula, qui tenait à l’époque le Tommy’s, au bord du canal (l’actuel Danu), avait ainsi accueilli l’équipe de Canal + quelques jours avant un derby. La Guille en garde un souvenir ému : « On jouait à Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette. J’avais réuni le sept majeur des deux clubs. On s’était régalé. On avait bouffé tous ensemble. Tout le monde s’était quitté en s’embrassant. » Ainsi, même sans titre majeur à son palmarès, le Colomiers des années 1990 reste l’illustration la plus éclatante d’une époque coincée entre le rugby de clocher et le rugby pro, qui offrait à la fois la chaleur humaine de l’amateurisme et l’intérêt sportif du haut niveau. Michel Bendichou aurait été satisfait de cette postérité, lui que le curé de Colomiers résumait en ces termes le jour de ses obsèques : « Michel nous a délivré un message en donnant la priorité aux valeurs humaines sur les valeurs marchandes »