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Jean Couderc

« Les vignerons ne restent pas les bras croisés ! » – Paul Fabre

Dernière mise à jour : 18 janv.


Pour Paul Fabre, le directeur de l’interprofession des vins du Sud-Ouest, la vigne traverse une période inédite dans son histoire. Et nous explique comment les vignerons de la région s’adaptent à ce changement climatique.



Quand on parle d’impact visible du réchauffement climatique sur les cultures, on a l’impression que c’est déjà une réalité pour la vigne. Vous confirmez ? Déjà, mieux vaut parler de changement climatique. Parce qu’il est marqué par plusieurs éléments : il y a le réchauffement, certes, mais qui n’est pas identique partout ; il y a aussi des phénomènes météorologiques extrêmes comme la grêle ou des orages très violents. On a par exemple parlé récemment de mini-cyclone. Donc ce n’est pas que la chaleur.


Depuis combien de temps les vignerons sont-ils touchés par le changement climatique ? Il y a toujours eu des problématiques de sécheresse, gel ou grêle. En revanche, on considère qu’il y a une accélération depuis 3-5 ans. Jusqu’alors, on considérait qu’il s’agissait d’aléas climatiques. Là, on assiste à un basculement. Il suffit de voir le mois de novembre que l’on vient de vivre, avec notamment une reprise de végétation. Récemment, on a vendangé pour la première fois dans les Hauts-de-France. Désormais, cela se fait en Bretagne ou en Normandie. Inexorablement, la vigne est en train de remonter. Et cela est perceptible à l’échelle planétaire.


C’est-à-dire ? On plante de plus en plus dans des pays où l’on n’était pas habitué à voir de la vigne. Comme en Suède, où l’on compte désormais une dizaine de vignerons. Idem en Norvège. Qui aurait imaginé ça il y a 20 ans ? On voit également l’Angleterre se développer énormément sur les blancs et les effervescents au point que Boris Johnson, qui n’est pas à une provocation près, déclarait récemment que les Anglais ne boiront bientôt plus de champagne. Et pour en avoir goûté, je dois avouer qu’il n’est pas mauvais…


Quelles sont les conséquences du changement climatique pour les vignerons ? L’une des principales concerne la perte de récolte. Quand il y a de la grêle et du gel, c’est automatique. Les épisodes récents sont globalement plus violents, notamment en Gascogne où la vigne a été dans certains endroits littéralement hachée. On observe aussi l’apparition de nouvelles maladies, ou d’insectes. L’ennui c’est que de plus en plus les vignerons enchaînent les phénomènes extrêmes. Par ailleurs, le réchauffement a comme conséquence que la vigne débourre (éclore, NDLR) plus tôt, ce qui la rend plus sensible au gel. Avec la sécheresse, on parle aussi de plus en plus de stress hydrique pour le raisin. C’est-à-dire que la plante se crispe et ne se développe pas.


La baisse de récolte est-elle déjà palpable ? Dans le bassin Sud-Ouest, ce n’est pas significatif sur la dernière décennie. Mais sur les 5-6 dernières années, on a connu plusieurs petites récoltes, notamment les deux dernières. Ce qui veut dire que cela peut provoquer des problèmes commerciaux d’approvisionnement des marchés et même d’épuisement des stocks. Or certains sont nécessaires car ils permettent de faire des jonctions entre l’ancien et le nouveau millésime.


« Le Sud-Ouest représente plus de 30 % du patrimoine génétique français des cépages »

La sécheresse est également responsable de vendanges de plus en plus précoces… En effet. Dans certains coins du Languedoc-Roussillon, ils ont commencé à vendanger fin juillet. Ce n’était jamais arrivé. Après, c’est plus complexe que ça. C’est aussi la peur de se prendre un orage dévastateur, la grêle, qui peut conduire à avancer la vendange. Ce qui peut amener à des déséquilibres au sein des raisins entre le sucre, l’acidité et les tanins. Et un énorme travail dans la vinification pour les retrouver.


Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne… C’est vrai. Certains, en Languedoc-Roussillon, ont même abandonné la vigne pour basculer sur de l’aloe vera, des plantes aromatiques, ou de l’amande. Cela peut sembler anecdotique mais désormais les réflexions sont menées à l’échelle de la région et ne concernent pas que la vigne.


La vigne n’est pourtant pas une culture fragile ? Théoriquement, non. C’est une plante qui résiste plutôt bien et qui ne craint pas la chaleur. Jusqu’à un certain point. C’est pour cela que des recherches sont menées pour trouver des cépages qui demande très peu d’eau ou qui résistent au développement des maladies. Mais il y a des débats autour de ces cépages dits résistants.


Pourquoi ? Parce que certains considèrent qu’il faut laisser le temps à la vigne de s’enraciner. Et puis il y a la question de l’irrigation qui est cruciale. Je pense que l’on est dans une phase où il ne faut pas se fermer de porte en ayant toujours bien à l’esprit l’aspect économique. Car la viticulture est l’une des premières activités économiques en Occitanie, notamment dans les territoires ruraux.


Comment procédez-vous pour donner naissance à ces cépages résistants ? On a signé une convention avec l’Inrae et l’Institut française de la vigne et du vin. Il ne s’agit pas de modification génétique comme certains l’imaginent. Ce sont des croisements, de la reproduction sexuée entre cépages existants, comme on en a toujours fait depuis des siècles. Rappelons-nous aussi que l’on a greffé les vignes pour résister au phylloxera. N’oublions pas également qu’en rendant le cépage résistant à la maladie, cela nous permet de moins traiter le raisin, ce qui a un vrai impact sur l’environnement.


N’y-a-t-il pas un risque, en agissant ainsi, de perdre la typicité de nos vins ? Le Sud-Ouest a capitalisé depuis très longtemps sur les cépages autochtones pour se distinguer. De par sa situation géographique, coincé entre les Pyrénées, l’Océan et le Massif central, le vignoble se trouve dans une zone plus humide qu’ailleurs. Ces conditions particulières ont permis de conserver sur le territoire des lambrusques, des vignes sauvages, à l’origine des cépages domestiqués par l’Homme. De nombreux cépages sont ainsi nés ici.


Combien sont-ils ? On estime que 150 cépages sont autochtones. Le Sud-Ouest représente ainsi plus de 30% du patrimoine génétique français. Et ces cépages sont pour la plupart uniques, c’est-à-dire que l’on ne les retrouve nulle part ailleurs pour la plupart. On n’est donc pas sur des cépages mondialisés. Et on fait tout pour garder les caractéristiques gustatives de notre région, même quand on travaille sur des cépages oubliés. L’important est de conserver une originalité du Sud-Ouest. Même s’il s’agit d’un goût nouveau, l’essentiel est qu’il soit identifié comme un goût d’ici.


Quelles sont les autres pistes suivies par les vignerons pour s’adapter à la nouvelle donne climatique ? Elles sont nombreuses. On mène par exemple un travail de cartographie des territoires avec l’aide de la Région Occitanie et de l’Agence de l’eau pour voir à la fois les impacts différenciés et les méthodes adoptées. Parce que ce ne sont pas les mêmes. Sur certains territoires, on privilégie certains versants. Jusqu’à présent on ne plantait que sur le versant sud. Mais avec le réchauffement, le versant nord devient de plus en plus une option pour les vignes nouvelles. Il y a aussi une façon différente de tailler la vigne pour créer des puits d’ombre. Il y a aussi un énorme travail sur la gestion de l’eau, mené en particulier dans les caves coopératives lors de la vinification. Mais aussi sur la réduction de l’empreinte carbone en favorisant l’enherbement, en plantant des haies, en réduisant le poids des bouteilles ou en innovant sur d’autres conditionnements… Cette question est vraiment traitée dans sa globalité. Sans oublier, bien sûr, la robotisation qui peut également aider à développer une agriculture plus respectueuse de l’environnement.


Certains Cassandre prévoient qu’il n’y aura plus de vigne dans notre Région dans 50 ans. Faut-il les croire ? Il est certain que le changement climatique pose question. Et qu’il inquiète les vignerons. De là à verser dans un pessimisme noir, je crois que ce serait aller trop vite en besogne. D’abord parce que la vigne et les vignerons ont montré qu’ils savaient s’adapter. La question de l’eau est aussi fondamentale. Tout dépendra des arbitrages qui seront menés entre activités et cultures. Une chose est sûre : les vignerons ne restent pas les bras croisés. Les solutions pour demain, tous les cherchent et certaines sont déjà mises en œuvre.

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