top of page
Agnès Barber

Mode augmentée – Fattoyz

La prothèse ne se cache plus mais s’affiche comme un accessoire de mode : c’est ce que revendiquent Gwen & Jhon, créateurs toulousains de la marque de streetwear Fattoyz. Rencontre avec les deux complices, joueurs de toujours, qui ont fait de Fattoyz « la marque des humains augmentés » après le grave accident de la route de Gwen. Ou comment rendre le handicap esthétique en jouant avec les codes de la mode.



Fattoyz : c’est le nom que Gwen et Jhon ont choisi pour la marque de vêtements qu’ils ont créée il y a près de 15 ans, alors qu’ils n’avaient que 17 ans. Fattoyz, comme la contraction de fat et toys, traduire gros jeu. « Cette marque, c’est notre histoire à nous, une histoire où il a fallu se battre » explique Jhon. Et pour enfoncer le clou, ils ont choisi pour slogan : play or die, joue ou meurs. Le ton est donné, dans un grand sourire. Elle a les cheveux noirs et lisses et l’œil noisette. Lui porte des lunettes de soleil givrées et affiche la décontraction du rappeur en tatanes. Prothèse High tech vissée dans une converse compensée modèle Run Star pour Gwen, la pose est décontractée : jouer les mannequins n’est pas un problème pour les deux jeunes créateurs qui maîtrisent les codes et alignent les followers sur leur compte Instagram fattoyzplayordie. Lorsqu’ils se sont rencontrés, à 17 ans, Gwen et Jhon avaient déjà quelques tempêtes au compteur, loin des petites bourrasques classiques de l’adolescence : « On ne s’est pas attirés pour rien ! » souffle Gwen, les yeux plantés dans ceux de son amoureux. Car oui, Gwen et Jhon sont en couple, à l’écran comme à la ville, enfin plutôt « à la campagne ». C’est paradoxalement au vert qu’aujourd’hui les créateurs de streetwear ont choisi d’élever leurs deux enfants de 3 ans et 10 mois. Et c’est sur fond de collines gersoises qu’ils se sont rencontrés, ados. Gwen, la toulousaine du quartier Bourbaki avait été envoyée dans un pensionnat proche de Auch : « Je ne pouvais plus vivre avec ma mère. J’étais livrée à moi-même. J’étais peut-être très autonome, mais je n’étais pas très bien dans ma tête. » Une valise un peu lourde. Tout comme celle rapportée par Jhon, de Colombie : « Je suis né à Bogota, j’ai vécu avec mes parents qui m’ont abandonné à l’âge de 3 ans, avant d’être recueilli dans un orphelinat avec mon grand frère, où on a été adoptés ». Direction Marciac, dans le Gers où il s’agit de se reconstruire : « J’étais petit mais j’ai gardé en tête des images choquantes de Bogota ». Gwen résume : « On avait tous les deux besoin d’exprimer quelque chose par l’art, avec le dessin, la musique, la photo… » Les 400 coups des deux complices passionnés de street art, de skate et de BMX se jouent alors sur le terrain de la création : « Nos potes voulaient nos dessins sur des t-shirts », explique Jhon. C’est là que tout a commencé, à grands coups de papier-transfert et « avec le fer à repasser de mamie », plaisante Gwen, qui se reprend très vite au cas où il y aurait méprise : « Enfin mamie, c’est une expression ». Ces deux ados-là se sont démerdés tout seuls. Pas avec maman, ni mamie, juste avec l’envie de tout bousculer : « On a appris sur le tas, en autodidacte. Jhon, qui avait commencé une formation de graphiste a gagné un concours » précise Gwen « et, avec 1500 euros, on a lancé notre première collection de t-shirts imprimés ! ». C’était il y a 14 ans : les copains de Digital Mundo portent les pièces de la marque dans leurs clips, reliant Fattoyz au monde du rap : « On a grandi et évolué tous ensemble, avec notre pote Laylow », explique Jhon.

Fattoyz

Corps nouveau

« L’accident » a percuté tout ça. Comprendre le grave accident de la route dont Gween est victime, au début de son année de terminale. Dix opérations chirurgicales plus tard, il a bien fallu se rendre à l’évidence : « Il vaut mieux une bonne prothèse qu’une mauvaise jambe. Cette phrase je l’ai entendue un millier de fois » souffle Gwen. La jambe a donc été coupée sous le genou. Amputation trans-tibiale. Coup de massue. Particulièrement pour le père de la jeune fille : « C’était très important pour lui que sa fille soit jolie ». Gwen, en plus de réapprendre à marcher, doit se réapproprier son image, affirmer sa féminité : « C’est déjà compliqué quand on est une femme, il y a tellement d’injonctions. ». À l’époque, difficile de trouver des infos sur les prothèses. Mais elle découvre l’existence d’Aimee Mullins « une athlète-mannequin extraordinaire qui m’a beaucoup inspirée ». Il lui faut aussi comprendre comment marche ce nouveau corps : « Au début j’étais un peu une hyper-consommatrice de la prothèse : il m’en fallait une pour courir, une pour mettre des talons, une pour la douche ! » La lycéenne sort du centre de rééducation juste à temps pour passer le bac avec ses béquilles, enchaîne avec des études de commerce et de mode, tout en continuant à travailler sur la marque avec son compagnon. Naturellement, la prothèse s’intègre dans les looks de prêt-à-porter qu’ils imaginent : « Avec les habillages en mousse couleur chair imitant la jambe humaine, tout était pensé pour cacher, pour dissimuler la prothèse. Nous, on a pensé la prothèse comme un accessoire de nos collections. On a imaginé des covers comme celui-ci » explique Gwen, désignant l’habillage en thermoplastique customisé qui coiffe la prothèse de sa jambe droite. Des collections futuristes, jouant la carte de l’homme augmenté, bionique. Le couple fait poser les athlètes Jean-Baptiste Alaize et Arnaud Assoumani. Une posture de vainqueur à laquelle Gwen tient : « Je n’aime pas qu’on s’apitoie. Quand j’ai eu mon accident, autour de moi je sentais que tout le monde avait pitié. » Jhon proteste : « Sauf moi ! Moi, je n’ai jamais eu pitié de toi ! ». La jeune femme reconnaît en riant. Pendant les années qui ont suivi l’accident, Gwen a ressenti très fortement le besoin d’affirmer sa prothèse, de la revendiquer. Aujourd’hui, apaisée, elle veut pouvoir la montrer. Comme la cacher. Selon l’envie : « Les regards ont changé sur le handicap mais ils sont encore parfois insistants. À la plage, à la piscine, quand je suis en maillot de bain, c’est parfois lourd ». Alors comme on arbore un look en fonction de son humeur, Gwen met en évidence sa prothèse, ou pas. La jeune maman explique, sans colère : « Ça fait plus de 10 ans maintenant, j’ai l’habitude ». Le handicap ne l’a pas fait dévier de sa trajectoire. Fattoyz s’est mis au pli de la résilience de sa créatrice. Jhon confirme : « On est la seule marque en France à fusionner la mode et le handicap. On a eu des commandes du Japon, des États-Unis, on bouge souvent à Paris, à Londres. » Une marque internationale ? Jhon rit : « Notre atelier est à la maison, à la campagne, on a nos propres machines, on fait le design nous-mêmes, nos modèles sont fabriqués en France, c’est pas notre trip d’aller trouver une usine au Portugal. On fait des pièces en série limitée. L’idée est de rester uniques ». À ce jeu-là, c’est gagné.

bottom of page