Le soleil vient tout juste de se coucher en ce vendredi de juin sur la Ville rose. Les bars débordent, comme si la chaleur n’avait pas d’emprise sur les jeunes, fidèles au rendez-vous de la nuit toulousaine. Place Saint-Pierre, haut-lieu des fêtes étudiantes à Toulouse, ils sont plus de 300 à entamer leur soirée. Une foule mélangeant sueur, alcool et rire. L’ambiance est bruyante – musique pop-urbaine à droite, techno à gauche – mais bon enfant. Au centre de la place, quelques CRS prêts à intervenir. Ils ne tardent pas à être sollicités par Julie et Emma, deux Toulousaines de 19 ans, préoccupées par le comportement d’un homme. « Cela fait un moment qu’on le voit tourner autour de la place, il est venu nous voir, il a été très insistant, il nous a insulté et il nous a craché dessus, on a pensé qu’il pouvait être dangereux. » L’intervention des CRS ne se fait pas attendre. Une présence qui rassure certains : « On a un pote qui a déjà failli se faire planter au centre-ville. Alors quand ils sont là, on se sent en sécurité », explique Mathieu, 22 ans, en buvant sa bière adossé à un arbre.
« La nuit peut s’avérer dangereuse, c’est une réalité », approuve Hugo, client régulier du bar Chez Tonton, « encore plus maintenant avec les cas de piqûres, je me méfie de tout le monde ». Une méfiance qui grandit manifestement chez les habitués de la nuit, comme Thibault, kiné de 28 ans : « Quand j’avais 18 ans, je me sentais en sécurité dans la foule car il y avait du monde, alors que maintenant ce n’est plus le cas car elle peut dissimuler des gens dangereux. » Les dangers de la nuit ne datent pas d’hier. Gaël Poite, responsable de la boîte de nuit l’Aréna s’en souvient : « Avant, le problème, c’était les pilules de GHB dans les verres. Nous avons trouvé une solution avec les capsules pour verres. Les piqûres sauvages, c’est la réponse à la réponse. Ils ont trouvé une alternative ». Si le problème du GHB semble résolu du côté des boîtes de nuit, il est toujours dans la tête des jeunes. « C’est la première règle qu’on t’apprend quand tu sors : ne jamais lâcher son verre des yeux et avoir la main au-dessus pour éviter tout risque. Et plus tu vas sortir, plus tu vas apprendre de nouvelles règles », témoigne Lucie, étudiante à Toulouse. Un constat partagé par Océane Ranjeva, présidente de l’Association générale étudiante de Midi-Pyrénées (AGEMP) : « L’insécurité augmente, c’est sûr. Les piqûres sauvages, c’est un nouveau danger mais il ne faut pas oublier les autres risques qu’on court quand on sort. »
Kit pour une soirée réussie © Laurent Gonzalez
Peur sur la nuit Ceux liés à la drogue au premier chef, comme le note Nicolas Delcourt, chef de service du centre antipoison et de toxicovigilance de la Région Occitanie. Il observe « une augmentation de drogues de synthèse administrées à l’insu des victimes, et de la même manière une augmentation des prises de drogues volontaires ». Aux urgences de Purpan, le son de cloche est identique : « Les vendredis et samedis sont les plus gros soirs de la semaine. Puis le dimanche matin, on reçoit de nombreux appels pour des cas de soumission chimique : des jeunes filles qui se réveillent le matin, et qui ne se souviennent plus de leur soirée », raconte Vincent Bounes, directeur du Samu de la Haute-Garonne. Ces dangers, la jeunesse semble les avoir bien à l’esprit à en croire Rémi* serveur depuis deux ans dans un bar dansant : « Les gens se méfient énormément. Des clientes m’ont par exemple déjà dit avoir changé de tenue à la dernière minute au cas où ». Chloé, 28 ans, fait partie de ces jeunes femmes qui ont troqué la robe pour un pantalon au dernier moment : « Il m’est même arrivé de renoncer à sortir par peur. » Une peur avec laquelle la jeune femme reconnait vivre à chaque virée nocturne : « Je me demande toujours si je ne vais pas me faire violer ce soir… » Élaborer des stratégies avant d’aller en soirée, de plus en plus de jeunes femmes s’y résolvent, comme Morgane, qui nous dévoile ses réflexes de soirée : « Quand je vais seule quelque part ou que je rentre seule, j’ai un numéro d’urgence sur mon téléphone au cas où quelqu’un me trouve inconsciente. Et puis j’active la localisation sur mon téléphone pour que mes proches sachent où je suis en permanence ». D’autres, anticipant une éventuelle agression, se munissent d’objets pour se défendre (bombes au poivre, laque) ou apprennent des techniques plus rudimentaires : « Je mets mes clés entre mes doigts pour faire un coup de poing américain. Il faut les mettre correctement pour éviter de se faire mal, c’est des trucs que t’apprends à force de sortir », explique Romane, une habituée du quartier de la Daurade. Si les jeunes femmes demeurent les plus vulnérables, elles ne sont pas les seules à se méfier des mauvaises rencontres nocturnes. « Si tu tombes sur quatre mecs bourrés, t’es pas à l’abri de te faire tabasser ou racketter, assure Valérian. Même si on n’est pas les cibles principales, ça arrive plus souvent qu’on le pense ». Avis partagé par Maxime, qui dit « éviter de rentrer seul… et certains endroits ». « Quand on est en groupe, on peut profiter davantage car on sait qu’au moins une personne pourra veiller sur les autres », confirme Emilien, 19 ans. Comme Maxime, Maéva et son groupe de copines privilégient des itinéraires et des lieux de fête particuliers. « Certains établissements sont plus attentifs à la sécurité des clients. Même si on les aime moins, il va nous arriver de les choisir pour ça. »
Fin du lâcher-prise Sur le terrain, veiller à la sécurité de chaque client peut s’avérer compliqué, comme l’explique Bastien*, barman, pour qui concilier travail et surveillance devient difficile : « Quand il y a énormément de gens à servir, c’est difficile de faire attention à chaque client. C’est un peu comme un prof qui ne peut pas, dans une salle de classe, voir tous les tricheurs. Ça échappe parfois à notre vigilance. » Parmi les établissements en pointe sur le créneau de la vigilance, figure l’after l’Autre, tenu par Valérie Dupont, qui n’hésite pas à se revendiquer « tout le temps en alerte ». « Les personnes qui viennent chez moi n’ont pas peur, ils me disent “chez toi on est en sécurité”, c’est de l’ultra vigilance. » Pas question, néanmoins, pour la professionnelle de la nuit de tomber dans la psychose. Une psychose que dénonce le service de communication de la boîte de nuit La Terrazza, qui observe « des peurs qui ne sont pas toujours fondées. Les clients ne pensent pas au danger, sauf quand il y a un petit incident. Quand quelqu’un s’évanouit, les clients vont tout de suite penser GHB ou piqûres, alors que bien souvent les raisons sont autres : chaleurs, alcool, fatigue… ». Les bars et discothèques se veulent rassurants en mettant en avant une sécurité largement renforcée. Et un environnement nocturne plus apaisé qu’avant selon Ivo Danaf, président de l’Union des métiers et des industries hôtelières (Umih) en Haute-Garonne et gérant de la discothèque Le Purple. « Cela fait 27 ans que je suis dans le monde de la nuit et je peux certifier qu’il y a beaucoup moins de danger qu’il y a quelques années. Il y a un renforcement de la sécurité au sein des boîtes et des bars. Puis une présence policière qui est plus importante qu’avant, des patrouilles permanentes assurent la sécurité. Après, une fête avec zéro danger, cela n’existe pas, ni à Toulouse, ni ailleurs en France. » Son confrère du bar dansant le Puerto Habana abonde dans ce sens tout en reconnaissant que « l’insécurité augmente en général, dans les stades, dans les rues, dans le quotidien ».
Les 15 commandements © Laurent Gonzalez
Psychose ou insécurité véritable ? Dans les deux cas, les jeunes s’adaptent. « Je vais faire attention à ma consommation d’alcool, j’ai envie de rester parfaitement consciente de ce qui m’entoure », explique Laura, 19 ans. Une vision que partage Matthieu, 21 ans qui ne « s’autorise jamais à perdre le contrôle en soirée en ville. À tout moment, tu peux te retrouver seul. Et donc plus en sécurité ». Maxime, lui s’oblige à être vigilant car, « c’est quand je me détends trop qu’il m’arrive des trucs ». Pour Rémi*, barman, nul doute que l’atmosphère a changé dans les établissements toulousains : « il y a moins de monde au centre du bar ou de la boîte, moins de monde qui viendra se coller. Les clients vont moins s’amuser, moins boire, moins être dans l’euphorie. Ils savent qu’il y a des dangers. Ils sont sur leur garde ». Le lâcher-prise ? Ilias comme Élise concèdent y avoir renoncé : « Je vais souvent en soirée mais je suis sur mes gardes. Je n’ai par exemple jamais été bourrée à Toulouse. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver… »
Des piqûres qui essaiment
Le phénomène de piqûres sauvages ne cesse de prendre de l’ampleur. Depuis fin mars, des jeunes racontent s’être fait piquer lors d’une soirée dans les bars, les discothèques ou dans des concerts. Vertiges, nausées, fatigue, somnolence, malaise, douleur musculaire, les symptômes évoqués par les victimes sont multiples. Aucune trace de GHB n’a cependant été détectée, ni aucune autre substance, malgré les nombreux effets secondaires. D’après les derniers chiffres, la Direction de la police nationale comptabilise 1098 victimes et 808 plaintes. à Toulouse, 17 plaintes avaient été enregistrées mi-mai, concernant douze jeunes femmes et cinq jeunes hommes.