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BOUDU

Ode à l’action – Cécile Dufraisse

En la voyant sortir de sa Mini bleue et blanche rue Gelibert, qui longe par l’arrière la Maison de la citoyenneté des Minimes, on est tout de suite frappé par son allure décidée et son air déterminé. Ce mardi de février n’est pourtant pas très différent des autres jours de la semaine. Sinon que depuis huit mois, les journées de Cécile Dufraisse s’apparentent à une véritable course contre la montre. « On m’avait prévenue que l’agenda d’un élu était chargé. On ne m’avait pas menti ! Il faut dire qu’il y a tellement de choses à faire. » N’allez pas croire, pour autant, que l’ancienne chargée de développement à la CPME 31 s’en plaigne. « C’est vrai que depuis l’élection, j’ai la tête dans le guidon. Mais je ne regrette rien, bien au contraire. L’expérience est tellement grisante que j’en demande toujours plus. Mes équipes sont même obligées de me freiner ! » Un appétit insatiable qui trouve peut-être sa source dans une existence depuis toujours bercée par la politique. « Chez les Dufraisse, la politique a toujours été un sujet important. », prévient-elle d’emblée. Et tout le monde penche à droite oublie-t-elle de préciser comme si ça tombait sous le sens. Mais alors que ses parents, gaullistes convaincus, sont des militants actifs et que son frère s’engage très tôt en politique, d’abord au sein de mouvements étudiants, puis en intégrant Science Po, la jeune Cécile se contente d’écouter son entourage discourir : « Quand on vit au milieu de proches aussi engagés, on écoute, on essaie de comprendre. Vu que je me retrouvais dans ce qu’ils disaient je ne voyais pas de raison de m’investir. »

Simple habitante de Toulouse il y a encore quelques mois, Cécile Dufraisse a aujourd’hui la responsabilité de l’occupation du domaine public de la ville et est maire de l’un des quartiers les plus peuplés. Une promotion éclair pour cette énergique quadra persuadée que la politique a encore de beaux jours devant elle.

Le théâtre salvateur D’autant que par ailleurs, la jeune femme vit une idylle avec le théâtre qu’elle découvre à son entrée au lycée à Sainte-Marie des Champs : « J’étais très timide et le théâtre m’aide alors à affronter mes peurs, à m’ouvrir l’esprit, à être plus avenante avec les autres. » Plutôt bonne élève par ailleurs, elle n’entend cependant user ses fonds de culotte sur les bancs de l’université. « J’avais envie de travailler le plus vite possible, d’intégrer le monde de l’entreprise », résume-t-elle. Un empressement qu’elle met sur le compte du déterminisme familial : « Quand tu baignes dans un milieu d’entrepreneurs, tu n’as pas spécialement envie de faire de longues études. » À 21 ans, un diplôme Action co en poche, elle intègre le cabinet de consulting BPI, spécialisé dans le reclassement professionnel de salariés. Deux ans plus tard, elle change de crémerie pour rejoindre les Pages Jaunes où elle est embauchée en tant que commerciale. Là où beaucoup jettent l’éponge dans l’entreprise dont la réputation de broyeur d’employés n’est plus à faire, Cécile Dufraisse s’éclate : « C’est vrai que c’était très dur, la pression était forte mais c’est aussi une très bonne école qui m’a vraiment permis de me former à toutes les techniques de vente. » Consciente de la nécessité de savoir en partir, elle bifurque, au bout de 4-5 ans vers des régies pub, Marie-Claire, NRJ, puis Actu Toulouse. Avant de relever le défi de rejoindre la CPME 31 pour développer le syndicat patronat aux côtés de son sémillant président Samuel Cette.

Sur le plan politique, en revanche, c’est le calme (presque) plat. Au lendemain de l’élection de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995, premier scrutin où elle est autorisée à voter « une fierté immense », elle adhère au RPR. Mais après avoir mené une petite expérience de militante pendant les années qui suivent, elle décide de mettre son engagement en sourdine au début des années 2000 pour se consacrer à sa carrière, puis à ses enfants. Une (longue) parenthèse qui s’achève il y a trois ans lors de l’appel à cotisation de son adhésion aux LR : « Mes enfants avaient grandi, je me suis posée la question de mon implication. Et je suis vite arrivée à la conclusion que si je renouvelais ma carte, c’était pour participer davantage. » Elle reprend donc les réunions du parti, se remet à partager le pot de l’amitié lors de fêtes des militants, se rapproche de Laurence Arribagé, la présidente des LR 31, « sans but précis » assure-t-elle, sinon celui de « s’impliquer et de donner à ses enfants l’image de quelqu’un, comme mon mari entrepreneur, qui va jusqu’au bout de ses idées ». Rien d’étonnant, dès lors, de la voir accepter la proposition de la patronne de la droite locale de figurer sur la liste de Jean-Luc Moudenc pour l’élection municipale de 2020 : « Ça ne se refuse pas quand on aime sa ville. Je bouillais à l’intérieur : j’étais extrêmement contente et fière qu’elle me fasse confiance. » L’enthousiasme inaugural ne va plus la quitter tout au long d’une (interminable) campagne : la semaine aux Minimes, le week-end aux Carmes, elle ne ménage pas sa peine, que ce soit en porte à porte ou en tractage, pour convaincre les Toulousains de renouveler leur confiance à Jean-Luc Moudenc : « J’ai vécu la campagne à 300%, j’ai mis ma vie de famille de côté, j’étais sur le pont du lundi au dimanche, non-stop. Je voulais tellement que l’on gagne que j’ai tout donné jusqu’au dernier moment. C’était à la fois très excitant et aussi un peu flippant parce qu’il y a eu des moments de doute. J’avoue que j’ai eu peur de la défaite à un moment. » Aussi à l’heure du résultat, lorsque la pression retombe, elle ne peut retenir ses larmes. Trop heureuse de ce succès électoral acquis de haute lutte, elle ne réalise pas tout de suite que sa vie va changer. Parce que quelques jours plus tard, à la veille du Conseil municipal d’investiture, Jean-Luc Moudenc lui propose le poste d’adjointe en charge de l’occupation du domaine public et la mairie de quartier des Minimes : « Je ne m’y attendais pas du tout. Je n’avais pas d’ambition, hormis celle d’apporter ma pierre à l’édifice. » Première conséquence de cette distinction, elle se voit contrainte de mettre un terme à sa collaboration à la CPME 31 « car je comprends tout de suite que je ne vais pas pouvoir continuer à mener les deux de front ».

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L’impérieux compromis Vu la délégation dont elle a la charge, elle ne connait pas de round d’observation : « Avec la crise sanitaire et les fermetures des restaurants et bars, il a tout de suite fallu se positionner par rapport à l’élargissement des terrasses. » Sans surprise, cette fille de restaurateur prend fait et cause pour « ces professionnels en souffrance ». Tout en comprenant très vite la nécessité de ménager la chèvre et le chou : « Je réunis les différents protagonistes, je reçois les associations de riverains, 2 pieds, 2 roues, je concerte, j’écoute. L’arbitrage, ce n’est pas évident parce que l’on a la nécessité de faire avancer les projets tout en essayant de trouver des solutions de compensation pour que ce soit accepté. Et que personne ne se sente lésé. Mais faire des choix, au final, ça me plait bien. » En parallèle, celle qui n’a connu que le privé découvre le fonctionnement de la collectivité : « L’inertie de l’administration française, ce n’est pas une légende. Ce ne sont pas les mêmes codes. Il faut appréhender les délégations, comprendre leurs fonctionnements. Ce n’est pas évident. Mais je m’y fais assez vite. Et maintenant que je connais les rouages, je me régale. » Même si elle n’est pas sourde à l’exaspération des gens à l’égard de la politique. « Les gens en ont marre des discours trop technocrates, ils attendent de l’action et des choses concrètes. » Un constat qui lui sert de boussole : « Je ne suis pas là pour faire du bla-bla mais pour mettre des actions en place. Je peux me tromper mais l’important c’est d’agir. » Parce que les citoyens, Cécile Dufraisse en est convaincue, n’ont pas (tous) renoncé à croire aux politiques : « C’est vrai que le ras-le-bol est encore plus perceptible avec la crise sanitaire. Mais si je me suis engagée politiquement, c’est parce que je pense que l’on peut agir. Et que j’ai bien l’impression que les gens attendent encore des choses des politiques. » Un gros semestre aux responsabilités lui a toutefois permis de toucher les limites de l’exercice : « Il y a beaucoup d’amalgames qui sont fais entre les responsabilités des uns et des autres. Élu d’une collectivité, on ne peut pas tout faire, comme on a pu le voir récemment avec l’affaire du squat de l’avenue de Fronton. C’est ce qui est difficile à comprendre pour les gens qui sont nombreux à penser que la mairie a tous les pouvoirs. Mais c’est notre travail d’expliquer et de tenir un discours de vérité. » Même si parfois, l’impuissance conjuguée au désarroi rend la fonction d’élu plus complexe : « J’adore mon rôle de maire qui consiste à être à l’écoute de gens très différents qui portent chacun des problématiques spécifiques : proximité, voierie, voisinage, cambriolage, sécurité… Mais le plus dur, c’est quand je ne peux rien faire comme avec cet homme d’un certain âge qui vient régulièrement me voir pour se plaindre de ne pas pouvoir rentrer chez lui à cause des dealers qui sont en bas de son immeuble. Vu que j’ai la chance d’avoir la délégation de l’occupation du domaine public, j’essaie d’occuper le terrain car j’ai saisi que plus j’occupais l’espace, plus je les faisais bouger. Mais je vois bien que je ne résous pas le problème de fond… » Ainsi va sans doute la vie d’une élue de quartier, aussi déterminée soit elle.

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