Exceptionnellement sec et chaud, l’été 2022 a éprouvé les cultures, les paysages et les paysans. Cet épisode extrême confirme une tendance climatique lancinante qui pourrait redessiner demain la carte agricole de l’Occitanie. Un péril pour ce secteur qui a atteint l’excellence sous nos latitudes, et demeure le premier employeur de la région.
Gouverner, c’est prévoir. Cultiver aussi. En ces temps de grande incertitude, paysans et politiques cherchent donc à connaître l’avenir. Untel se fie aux rapports du Giec, un autre aux vieux adages, un autre à la technologie. Les oracles, fatalement, se multiplient. Dans la région, Makina Corpus, une société toulousaine spécialisée dans le logiciel libre, a conçu avec Solagro une application en partie financée par l’Ademe, qui promet d’offrir aux agriculteurs des projections climatiques… jusqu’en 2100 ! Résolution : 12km2. De quoi prévoir à l’échelle du microclimat. La chose n’est pas anodine : comme le répète à l’envi Alain Canet, cofondateur d’Arbre & Paysage 32 et président du Centre national d’agroécologie : « Le climat est une addition de microclimats ». Avant de trouver une boule de cristal qui marche, il convient de se mettre d’accord sur le passé et le présent. C’est ce qu’entreprend la Chambre régionale d’agriculture d’Occitanie depuis 2019 avec Oracle (voir p.26), qui a recensé les indicateurs agroclimatiques du territoire au cours du demi-siècle passé. Verdict sans appel : en 60 ans, la température en Occitanie a augmenté de 0,38°C en moyenne par décennie, avec une accélération du phénomène depuis les années 1980. Et si la quantité de pluie qui nous arrose n’a pas diminué en moyenne, la fréquence et la nature des précipitations a changé. Cet état des lieux est préoccupant pour l’Occitanie, dont l’agriculture, comme l’aéronautique, assure autant la renommée que la bonne santé économique. Premier employeur de la région avec 165000 emplois. Première région d’Europe en produits sous signes de qualité (248 reconnus et 16 démarches en cours). Meilleure région bio d’Europe. Une diversité de produits, de terroirs et de paysages au m2 unique en France… Un trésor que Vincent Labarthe, vice-président du Conseil régional en charge de l’agriculture et de l’enseignement agricole depuis 2010, veut accoutumer aux hoquets du climat : « Clairement, il y aura une nouvelle carte des cultures en Occitanie. L’agriculture régionale a déjà bougé sous l’effet du changement climatique. Et ce n’est pas fini. On aura des remontées de la vigne à l’intérieur des terres, une disparition d’une partie de l’élevage. J’aimerais qu’on soit encore plus dans la prospective de façon à ce qu’on soit le plus préparés possible. » Pour l’heure, le principal outil régional destiné aux paysans sont les contrats d’agriculture durable, expérimentés depuis 2021. Ce dispositif finance les actions des agriculteurs qui œuvrent à rendre leurs fermes plus « résilientes ». Parmi les objectifs : s’adapter et absorber les effets délétères des aléas climatiques. L’institution espère en signer 10 000 en complément des contrats de filières animales, qui financent et encouragent la transition vers l’élevage durable. « Le modèle agricole doit opérer une transition importante s’il veut exister demain. En Europe, les fonds ont contribué à construire un marché globalisé. Ils servent souvent de monnaie d’échange entre les États. Depuis 2014 la Région est autorité de gestion d’une partie des fonds européens. Cela qui nous donne des moyens pour choisir l’agriculture que nous voulons » assure Vincent Labarthe. Reste à trouver les solutions de terrain pour construire cette fameuse « agriculture résiliente » capable d’encaisser les chocs climatiques. Et d’abord, à la définir. Arnaud Daguin, l’ancien chef étoilé gersois devenu porte-parole du mouvement Pour une agriculture du vivant, s’y emploie : « Notre enjeu majeur c’est d’arrêter de transformer les terres en désert. Un désert, ce n’est pas un endroit où il n’y a pas de plantes parce qu’il ne pleut pas, mais un endroit où il ne pleut pas parce qu’il n’y a pas de plantes. Pour y remédier, il faut faire attention à trois choses : les sols, les arbres et l’hétérogénéité de ce qu’on produit ». Cette hétérogénéité recouvre un concept simple. Si plutôt que de fabriquer des semences en laboratoire, on sélectionne au fil des récoltes des individus au potentiel génétique varié (la fameuse sélection massale pratiquée depuis le néolithique par les paysans), on crée des semences hétérogènes. Sur la population semée, et quelles que soient les conditions climatiques, il y aura toujours le nombre suffisant d’individus pour tirer leur épingle du jeu. « Avec ces phénomènes météo on a besoin de plantes qui s’adaptent » résume Arnaud Daguin.
Enrichir les sols et les paysans Les arbres, quant à eux, assurent à la fois réserves d’eau, fraîcheur et fertilité via les milliards de kilomètres de champignons microscopiques qu’ils génèrent dans leur sillage. Quant au sol, Daguin recommande de les transformer en réserves d’eau naturelles : « Au lieu de faire des bassines à la con avec de l’eau qui se minéralise encore plus, une des pistes les plus intelligentes pour pallier les phénomènes météorologiques excessifs consiste à transformer nos terres agricoles en gigantesques bassines avec un sol vivant plein de matière organique et couvert en permanence ». « Sol nu, sol foutu ! », l’antienne des apôtres du sol couvert a de beaux jours devant elle. Même si, dans les champs, la transition n’est pas toujours évidente. À Masseube, dans le Gers, Clément Souque est en plein dedans. Cet agriculteur de 35 ans cultive de l’avoine, de l’orge, de la vesce, des pois et du triticale. Les deux tiers de son exploitation sont des prairies et des bois pâturés. Il est passé au bio en 2019, mais en renonçant aux produits chimiques, il fait face au problème de l’enherbement de ses terres. Depuis deux ans, il s’essaie aux TCS (Techniques Culturales Simplifiées) qui reposent sur les sols couverts : « La terre, quand elle est nue, n’est plus sujette au ruissellement. Les couverts permettent de mieux garder l’humidité. Grâce à la végétation, la terre est en meilleure santé, les racines drainent l’eau plus efficacement, et le sol sèche moins vite. C’est précieux lors des canicules ! » se réjouit-il. Le jeu en vaut la chandelle. Les pionniers de cette pratique, parmi lesquels le Gersois Christian Abadie, qui la pratique depuis 20 ans, disposent désormais de rendements excellents, de terres auxquelles on a rendu la fertilité, et de fermes moins sensibles aux aléas climatiques. Si les techniques de sols couverts et de semis direct ne sont pas nouvelles, elles ont mis du temps à être reconnues et recommandées en France. L’un de ses principaux concepteurs et promoteurs, l’agronome Lucien Seguy, développait déjà cette école de pensée au Brésil quand l’Europe commençait à peine à sortir de l’indifférence à son égard. Aujourd’hui, le fil de paysan dordognais inspire les acteurs et les initiatives de terrain. C’est le cas du pôle de Compétitivité Agri Sud-Ouest : « L’intérêt du pôle pour ce sujet est né de la rencontre de son président Cédric Cabanes, avec Lucien Séguy. Ce dernier a été un des premiers en France à révéler que l’agriculture de conservation avait des impacts intéressants sur la lutte contre le changement climatique et la limitation de l’érosion… Notre président s’est pris de passion pour ces sujets, pour le bénéfice des couverts végétaux sur la santé du sol, sur la séquestration de carbone. Ce type d’agriculture permet de prendre soin des sols et d’avoir un impact positif sur le changement climatique » détaille Pauline Avila, coordinatrice de Solnovo. Ce programme, qui murit depuis près de deux ans, sera lancé officiellement en janvier. Fondé sur la formation, le financement, le partage d’expérience et le diagnostic, il a pour vocation l’accompagnement de collectifs agricoles en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine vers une agriculture régénératrice des sols (une forme poussée d’agroécologie). Le tout avec le concours d’acteurs économiques et scientifiques, l’idée étant d’enrichir autant les sols que les paysans. Complémentaire des sols couverts, la bonne gestion de l’eau est l’autre grand chantier de la transition agricole régionale. « Il faut être en mesure, dans cette phase d’adaptation au réchauffement climatique, de produire ! Pour cela, il faut de l’eau. Rien ne pousse sans elle. Même le raisin, désormais : quand on a des journées à 45°C, il faut aussi de l’eau pour les vignes », rappelle Jean-Louis Cazaubon, vice-président du Conseil régional à la souveraineté alimentaire, la viticulture et la montagne. « Je prône avec la Région l’eau multiusage. Quand on lâche l’eau d’un barrage, elle est turbinée et crée de l’énergie renouvelable décarbonée. Cette eau lâchée pourrait très bien être retenue à nouveau, et utilisée l’été pour irriguer les cultures » lâche-t-il. Il s’agit donc d’offrir de nouvelles infrastructures pour mieux répartir l’eau. Grandes ou petites retenues au pied des coteaux, équipements publics ou petits aménagements dans les fermes, l’heure est à la retenue. Quant aux enjeux, ils dépassent largement la simple question économique et territoriale : « L’enjeu demain, c’est la souveraineté alimentaire. Est-on capable de produire dans la région ce dont ses habitants ont besoin ? Pour certains produits, il y a l’impérieuse nécessité d’être autonomes et indépendants, surtout avec les changements climatiques. L’Occitanie, du fait de sa variété de climats, de reliefs, de produits, est peut-être l’une des rares régions à produire tout ce dont elle a besoin en quantité et en qualité ». Et Jean-Louis Cazaubon de citer de Gaulle : « Un pays qui ne peut pas se nourrir ne saurait être un grand pays. »