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BOUDU

Rémi Branco, l’indispensable

Ce matin-là, comme chaque semaine, ils se retrouvent tous au Ministère de l’Agriculture. Tous, ce sont les secrétaires nationaux du Parti socialiste proches du Président. S’ils sont réunis à l’initiative de Stéphane Le Foll, le président de Répondre à Gauche, l’association fondée en 2008 pour soutenir François Hollande, c’est bien Rémi Branco qui est aux manettes. C’est lui qui est chargé d’animer cette réunion très politique, dont l’objectif est de faire vivre le courant de la Hollandie.

Pour Marcelo Wesfreid, journaliste politique à l’Express, il est évident que Rémi Branco est bien plus que le chef de cabinet du Ministre de l’Agriculture : «  Son vrai boulot, c’est de structurer les réseaux hollandistes. Il en est la cheville ouvrière au niveau national. Son rôle est essentiel dans la détection d’élus. Il est vraiment au cœur de la matrice hollandiste. » Bigre ! Voilà une sacrée responsabilité pour un jeune homme à propos duquel on ne sait rien. Ou presque. En particulier à Toulouse, où il a pourtant grandi et milité. Dans les rangs du Parti socialiste local, on n’est pas très disert sur le sujet. « Je le connais parce que je l’ai personnellement recruté lorsqu’il était lycéen, indique Sébastien Vincini, premier secrétaire fédéral du PS 31. Mais c’est vrai qu’il est plutôt éloigné de la fédération de Haute-Garonne. Il n’est pas dans le truc. »

Pour la première fois de sa jeune existence, il aurait dû être candidat à une élection à l’occasion des Régionales. Initialement prévu en 26e position sur la liste de Carole Delga, donc en position non éligible, il a finalement disparu, écarté par le jeu des alliances avec les partenaires politiques. Le tout sans en prendre ombrage, assure Sébastien Vincini : « Il n’est pas à la recherche d’un atterrissage potentiel. »

Jalousies

Ce n’est apparemment pas l’avis de tout le monde. La rumeur lui prête une ambition débordante. Au point d’être prêt à tout pour arriver. Des allégations qui ont le don de faire bondir Jean-Jacques Mirassou, conseiller départemental et ancien sénateur : « Si c’était le cas, il aurait eu une place pour les Régionales ! Son problème, c’est qu’il n’est pas comme tous ces jeunes que je côtoie tous les jours, obsédés par leur trajectoire personnelle. Il est atypique dans le paysage parce que son

moteur, c’est faire vivre ses convictions. » Une analyse partagée, à mots couverts, par Carole Delga elle-même : « Rémi est un jeune homme très travailleur, brillant, qui ne se méfie pas assez des autres. Et de manière générale, les personnes brillantes sont jalousées… »

La jalousie, un sentiment qui semble le poursuivre depuis longtemps. Enfant, il prend beaucoup de place. Dans sa famille, où on le surnomme « le petit avocat », ou à l’école où il organise les parties de foot, il fait de l’ombre aux autres. Au point de susciter les railleries de ses camarades lorsqu’il veut prendre la parole en classe. « Je me faisais traiter de fayot. Je pense qu’il y avait une forme de revanche par rapport à mon côté “chef de bande ».

Lorsqu’il rapporte une conversation qu’il vient d’avoir avec un élu, il ne peut pas s’empêcher de l’imiter.Diane Vey, collaboratrice au ministère de l’Agriculture

Mais Rémi ne manque pas de tempérament. Il a surtout la chance d’avoir des parents à l’écoute. Assise à la terrasse d’un café place Saint-Sernin, Patricia, sa mère, évoque un enfant singulier, en proie à des questionnements étonnants pour son âge : «  Je me souviens qu’il était resté bloqué pendant deux jours sur la censure durant l’Holocauste. Il revenait à la charge sans cesse parce qu’il voulait absolument comprendre. »

Ses parents le changent alors de collège et l’inscrivent à Fermat. Où un choc culturel l’attend. Au bout de seulement quelques jours, une camarade de classe lui demande s’il ne porte pas le même sweet que la veille. Puis veut savoir combien il en a. Naïvement, il dit la vérité, ce qui provoque l’hilarité générale. Pour passer inaperçu dans cet environnement « petits bourgeois » qu’il découvre, il comprend tout de suite la nécessité de se « déguiser ».

En classe, s’il « impressionnait les professeurs par sa capacité de raisonnement » selon sa sœur Mélanie, il se contente du minimum au niveau des notes. L’apprentissage de l’économie, au lycée, va faire office de déclic : « Je découvrais Keynes, Bourdieu, Friedman, les néo-libéraux, je faisais des liens avec la sociologie et les débats politiques que j’entendais en famille. Je me rendais compte que cela se rejoignait et que l’un nourrissait l’autre. »

La politique, une affaire de famille

Sans le savoir, il s’éveille à la politique. Même si chez les Branco, elle rythme les repas familiaux depuis toujours. Comme dans beaucoup de familles françaises, on ne raterait pour rien au monde Sept sur Sept, la grand-messe cathodique du dimanche soir. Devant le petit écran, Rémi, tout en triant ses vignettes Panini, amuse la galerie en imitant les hommes politiques. Toubon, Douste-Blazy, Lang, Chirac, tout le monde y passe. « Mes parents en raffolaient tellement qu’ils m’en demandaient tout le temps. » Un goût pour les imitations qui ne va d’ailleurs pas le quitter, comme le révèle Diane Vey, sa plus proche collaboratrice au ministère : « Lorsqu’il rapporte une conversation qu’il vient d’avoir avec un élu, il ne peut pas s’empêcher de l’imiter. Et il est très doué. C’est devenu un réflexe. Il ne s’en rend plus compte. »


Son éducation à la politique, il va la mener au contact de son grand-père maternel, un homme doté d’une « grande capacité de raisonnement, d’une culture impressionnante, qui parlait de la vie de la cité plus que de politique politicienne. »

Au niveau des convictions, chez les Branco, le cœur bat clairement à gauche. Mais une gauche qui se veut réaliste : « Mon père était fan de Mitterrand. Mais en tant qu’entrepreneur, il était sensible au fait que l’on ne montre pas du doigt les entreprises. » Une sensibilité qui va au fil du temps façonner le corpus idéologique de Rémi Branco. L’économie de marché ? Il faut faire avec. « Qu’il faille abandonner des activités de marché, ça oui. Mais il y a un marché à la base. C’est le moins pire des systèmes. Je n’ai pas d’utopie. Plus personne, d’ailleurs, ne pense autrement. » Les sorties de Macron ? Même pas mal ! « Quand il dit que le temps de travail, ça peut se décider branche par branche, qu’il croit davantage au contrat entre les salariés et l’entreprise qu’en la loi, je trouve que cela va plutôt dans le bon sens et que ça apporte au débat. » Idem pour la lutte contre les déficits : « La dette, c’est l’ennemi des pauvres. Hollande a été très courageux de dire qu’avant de redistribuer, il fallait produire. »

Cette absence d’utopie, Rémi Branco l’a toujours revendiqué. S’il reconnaît, lors des municipales de 2001, avoir été intéressé par la démarche des Motivé(e)s, il n’a jamais été tenté de « renverser la table ». Le grand soir ? Pas le genre de la maison. En 2002 pour l’élection présidentielle, il se retrouve en désaccord de fond avec les altermondialistes : « Ça me rendait fou d’entendre, notamment dans ma propre famille, que certains s’apprêtaient à voter Mamère parce que Jospin n’est pas assez écolo, ou Besancenot parce qu’il n’est pas assez à gauche. Je ne comprenais pas la logique qui consistait à dire : si ce n’est pas idéal, ce n’est pas à gauche ».

Convaincu que le bilan de Jospin à Matignon mérite d’être défendu, il décide de s’impliquer et de ferrailler, sur les marchés, avec les sceptiques, au point de se faire « insulter par des profs bobos ».

Le 21 avril au soir, c’est habité par une colère noire qu’il assiste, en famille, à l’annonce du résultat. Furieux après sa mère dont il juge le vote irresponsable, dégoûté par les électeurs de gauche, triste pour Jospin, il sent que le moment est venu de s’engager personnellement et de prendre la carte du Parti socialiste.

Science-Po, comme une évidence

Dans le même temps, il décide de faire une prépa en vue d’intégrer Science Po. Comme une évidence. Sa mère se souvient : « Il angoissait terriblement de ne pas l’avoir. Il me disait : “ Mais qu’est ce que je vais faire de ma vie si je ne l’ai pas ? ” » Admis à Aix-en-Provence, il fonce, ravi de quitter Toulouse et le cocon familial dans lequel il se sent un peu à l’étroit.

Dans la sous-préfecture des Bouches-du-Rhône, s’ouvre ce qu’il considère comme l’une des périodes les plus enthousiasmantes de son existence. « Les cours, les professeurs, tout était super. Intellectuellement, je me suis éclaté. J’ai appris à réfléchir par moi-même. » Il reste cependant toujours en phase avec la ligne du Parti, comme lors du référendum sur le traité européen en 2005. Son ancien camarade de promotion, aujourd’hui journaliste politique à Libé, Lilian Allemagna, se souvient : « Il était très pro-européen et surtout légitimiste. Je ne l’ai jamais entendu critiquer la droitisation du parti. »

Il avait une éloquence que nous n’avions pas. Il adorait la controverse. On savait qu’il allait faire de la politique. Matthieu Commet, ancien camarade de Science Po

Convaincu que le traité n’a que peu de défauts, il s’engage totalement en faveur du oui. Jusqu’à en perdre le sommeil. « Ce débat m’a constitué politiquement : j’ai compris que je n’avais pas une culture révolutionnaire et que mon ambition était d’améliorer les choses pas à pas plutôt que d’attendre un monde parfait ». Une philosophie politique qui n’est pas sans rappeler celle du Premier secrétaire du PS d’alors, François Hollande. A l’issue d’une campagne éprouvante, au cours de laquelle Rémi Branco vivra mal les accusations de « social-traitre », il doit une nouvelle fois, après 2002, s’avouer vaincu. Une défaite qu’il vit comme un échec personnel. Mais il a montré des qualités de débatteur hors pair : « Il avait une éloquence que nous n’avions pas. Il adorait la controverse. On savait qu’il allait faire de la politique », se souvient Matthieu Commet, ancien camarade de promotion aujourd’hui collaborateur d’élus à la Métropole de Bordeaux.

Le pied à l’étrier avec Kader

Son parcours le conduit ensuite à Bruxelles où il effectue un stage aux côtés de Kader Arif. Dans la capitale européenne, il fait son entrée dans la cour des grands. « Kader m’amenait partout. J’allais boire des coups avec Le Foll, Hamon, Peillon. C’était passionnant. Je vivais un rêve éveillé. » Au contact du député européen, il comprend les rapports de force, le jeu des motions et ô surprise, se surprend à trouver cela intéressant. « Quand on découvre l’envers du décor, soit on est dégoûté, soit on fait avec… J’ai décidé de faire avec. »

Après Bruxelles, il s’envole pour un stage en Turquie, où il voyage et lit beaucoup. De retour à Aix-en-Provence, à l’occasion des municipales 2008, il participe à sa première aventure électorale, dans le rôle de défricheur d’idées. Où il se distingue par sa facilité à jouer sur tous les tableaux. « Des profils comme le sien, capable de réfléchir, de pondre des notes, mais aussi d’être en première ligne pour coller les affiches, j’en ai vu trois ou quatre dans ma vie », se remémore Anthony Sette, le directeur de campagne du candidat local Michel Pezé.

Rémi Branco

Le 31 mars 2011, lorsque Hollande déclare sa candidature à la primaire à Tulle, Rémi est dans le premier cercle.Marcelo Wesfreid, journaliste à l’Express

Mais il n’est guère plus avancé sur l’orientation à donner à sa carrière. Après un Master 2 sociologie politique à Science Po, il s’essaie au journalisme politique en effectuant un stage à la Chaîne parlementaire. Le résultat n’est pas probant. « Je me suis vite rendu compte que je n’arriverai pas à être un simple commentateur de la vie politique ». Le constat est identique après un passage au CSA sous la direction de Jean-Daniel Lévy, le grand manitou des sondages. « Être sondeur, c’est être capable de ne pas donner ses opinions pour analyser la société. Or, Rémi avait des convictions qu’il portait haut et fort. »

Des convictions qui vont le conduire à accepter la proposition de Kader Arif de devenir son directeur de campagne pour les européennes de 2009. Mais entre temps, un événement majeur s’est produit. Nous sommes en 2008. Rémi assiste, avec quelques amis, à un débat au théâtre du Rond-Point, sur les Champs-Elysées, auquel participent Jacques Attali, Xavier Bertrand, Philippe Corcuff et François Hollande. Séduit par le discours de ce dernier, il l’aborde pour lui proposer son aide. Présent à ses côtés ce soir-là, Clément Prunières, ancien camarade de promotion à Science-Po, se souvient de son culot et de sa détermination : « Dans un premier temps, Hollande lui a répondu de prendre sa carte. Mais Rémi a insisté en disant que c’était lui, personnellement, qu’il voulait aider. » À première vue, difficile d’y voir une stratégie tant la cote du Premier secrétaire du PS est au plus bas comme le rappelle Marcelo Wesfreid, présent aussi ce soir-là : « On est juste avant le meeting de Reims et Hollande est un has-been. C’était peu banal de miser sur quelqu’un qui ne valait plus rien. »

Tout pour Hollande


Sauf que Rémi ne voit pas les choses de la même manière. D’abord parce que pour lui, Hollande, c’est l’homme qui a relevé le parti quand Jospin a claqué la porte, celui qui s’est effacé au profit de Ségolène Royal au moment des présidentielles.

Ensuite, parce qu’il voit une opportunité à saisir. « Hollande était seul. Je me suis dit que je pouvais lui apporter quelque chose. J’avais des copains qui s’étaient rapprochés de DSK. Moi, ça ne m’intéressait pas d’être une petite main, même pour le favori des sondages. Je voulais être utile. »

Et utile, il le sera, au-delà de toutes espérances. Très vite, il gagne la confiance de Hollande et se fait une place de choix dans l’entourage du futur candidat à l’élection présidentielle. Son rôle ? Réunir des chercheurs, préparer des fiches, pondre des notes, principalement sur la jeunesse et l’éducation. « 2009-2011, c’est la période la plus palpitante. Quand il me félicite devant tout le monde pour le rapport que je lui rends sur l’éducation, je suis content. Modestement, son programme sur ce sujet et sur la jeunesse, on l’a fait ensemble », s’enorgueillit-il.

Sous le charme d’un homme « en quête permanente d’équilibre » qu’il décrit comme « une éponge devant, et un ordinateur derrière, qui écoute et classe », Rémi, démissionne de son poste au Ministère des Finances, pour se consacrer exclusivement à la campagne de François Hollande. Une décision difficile à prendre tant il s’était juré de ne pas devenir un professionnel de la politique : «  C’était bien beau d’inventer des prétextes pour aller voir Hollande, mais sur la durée, ce n’était pas tenable. Sans compter qu’il me demandait de plus en plus de notes. Et puis je sentais qu’il y avait une opportunité extraordinaire de participer à l’Histoire. »

En pleine lumière durant la primaire

Devenu assistant parlementaire de Gwendal Rouillard, un proche de Le Drian, son rôle dans la campagne ne va cesser de s’amplifier. À l’Assemblée, il travaille au même étage qu’Hollande avec lequel il s’entretient régulièrement, et alimente de plus en plus Stéphane Le Foll et Dominique Villemot en propositions. Le nez dans le guidon, il « tombe de sa chaise », à l’été 2011, lorsque il voit son nom apparaître dans l’organigramme de l’équipe de campagne aux côtés de Le Drian, Colomb ou Peillon. « Je n’aspirais à rien si ce n’est à être utile », jure-t-il. N’empêche que pour Marcelo Wesfreid, la promotion n’a rien d’étonnant : « Le 31 mars 2011, lorsque Hollande déclare sa candidature à la primaire à Tulle, Rémi est juste derrière lui : il est dans le premier cercle ! ».

Le problème de la gauche, c’est qu’elle est souvent prisonnière de ses valeurs, de ses principes. Rémi Branco

Désormais propulsé sous le feu des projecteurs, Rémi passe dans la lumière, enchaîne les plateaux radio, télé… et se prend au jeu : « Ça m’intéressait de porter les idées sur lesquelles je travaillais et auxquelles je croyais. »

Le retour à la réalité n’en est que plus douloureux. Le soir de la désignation de François Hollande comme candidat du Parti socialiste, l’heure du rassemblement a sonné. Et Rémi comprend que son influence va s’amenuiser. La relation privilégiée entretenue avec Hollande a vécu. Et les faits ne tarderont pas à lui donner raison. En dépit du soutien de Le Foll, la thématique de l’éducation qu’il convoitait échoit à Lauriane Deniaud, présidente du MJS.

Recasé dans l’organigramme aux relations avec les experts, il accepte sans broncher. Froidement : « Politiquement, Hollande n’avait pas le choix ». Il continue cependant son travail de l’ombre : rédiger des notes pour Le Foll, Villemot et Le Drian. Matthieu Commet décrypte : « C’est quelqu’un d’assez fin pour ne pas montrer sa déception. »

La pilule n’en demeure pas moins dure à avaler, d’autant qu’une nouvelle désillusion l’attend six mois plus tard. Hollande vient de gagner l’élection. Il caresse le secret espoir de devenir son conseiller jeunesse. Mais le nouveau Président décide de réduire le nombre de collaborateurs à l’Elysée. Le rêve s’évanouit. Entre temps, les postes intéressants dans les différents ministères ont tous été attribués. Pêché d’orgueil ? « Il pensait rester dans le cercle protégé du Président. Du coup, il a cru qu’il n’avait pas besoin de jouer le courtisan. Il a même aidé des gens à avoir des places en cabinet », analyse Matthieu Commet.

Finalement, Kader Arif, nommé aux Anciens combattants, lui propose d’être son conseiller parlementaire. Un lot de consolation que Rémi accepte, là encore, sans râler.

Loyauté et maturité

Une affaire de loyauté et de maturité pour Marcelo Wesfreid : « Il a eu l’intelligence, contrairement à beaucoup à sa place, de ne pas nourrir d’amertume, de ne pas réclamer son dû. Il s’est fait le cuir en restant fidèle, parce qu’il comprend bien les rouages de l’appareil. » Une loyauté qui portera ses fruits deux mois plus tard quand Stéphane Le Foll le sollicite pour devenir son chef de cabinet adjoint. Rémi, qui apprend vite de ses erreurs, ne se fait pas prier : « Je savais qu’il ne fallait pas que je loupe ce virage, qu’avec Le Foll, j’allais franchir un cap. Et puis l’agriculture, vu mes origines lotoises, était un domaine qui me parlait davantage que les Anciens combattants. »

Il comprend la social-démocratie dans le sens où il cherche à prendre en compte les enjeux sociaux dans la construction d’une politique. Nicolas Duvoux, rédacteur en chef de La vie des idées

Chef de cabinet depuis 18 mois, Rémi gère aujourd’hui une équipe de 140 personnes pour un budget de fonctionnement de 1,5 millions d’euros. Un rôle de superintendant lourd à porter pour un jeune homme de 31 ans. Heureusement, il y a les déplacements avec le ministre pour s’évader : « Ce sont les moments que je préfère, où je ne sens pas la fatigue parce qu’on est au contact des gens. Il y a du stress avec les risques de blocage des agriculteurs, mais il y a aussi de l’adrénaline. C’est bien aussi qu’il y ait de la difficulté ». Et puis débattre, Rémi adore ça, même dans l’adversité. « Ce n’est pas un hasard s’il s’est retrouvé au côté de Le Foll qui est très pragmatique, qui aime l’odeur de la poudre, analyse Marcelo Wesfreid. C’est un battant. Même dans les périodes de vache maigre, il continue d’écrire des tribunes. » Il admire Le Foll, comme il admire Hollande. Un ministre « sincère, toujours en accord avec sa conscience. »

Un think tank pour préparer 2017

Rémi ne veut pas pour autant abandonner le terrain des idées. Non content de gérer l’un des ministères les plus complexes qui soit, et d’animer le réseau Répondre à gauche, il trouve le temps, à l’été 2013, de lancer un think tank générationnel, Du pain sur la planche : « Avec quelques amis, on a perçu le danger de se retrouver uniquement dans la gestion au quotidien et plus dans la réflexion globale. » Depuis cet été, le noyau dur, composé de collaborateurs ministériels et élyséens, de militants et responsables syndicaux, a passé la surmultipliée en rencontrant en moyenne deux chercheurs par semaine. L’objectif ? Publier d’ici un an un livre avec 10 propositions phares pour les présidentielles, pour ne pas se retrouver avec « un programme qui ne me plaît pas ». Et aider François Hollande à être réélu. Parce que pour Rémi Branco, il ne fait aucun doute qu’il sera à nouveau le candidat du Parti socialiste. « S’il n’y va pas, c’est que le bilan est catastrophique, et je ne sais pas qui pourrait y aller à sa place. »

Rémi Branco

Le désamour du Président, et plus généralement de l’exécutif ? Compréhensible… mais agaçant : « Il y a une énorme attente parce qu’on est en France et en période de crise. Certes il a fallu prendre des décisions qui ne sont pas dans l’ADN de la gauche. Mais pourquoi les militants sont-ils à ce point focalisés sur le verre à moitié vide ? Pour la première fois en France, les inégalités se réduisent. Pour un gouvernement de gauche, c’est important. Je comprends qu’il y ait de l’impatience. Pas que l’on tire autant contre son camp. »

Et de poursuivre en exhortant ses camarades à affronter la réalité en face : « Le problème de la gauche, c’est qu’elle est souvent prisonnière de ses valeurs, de ses principes. La remise en question, ce n’est pas trop son fort. J’ai l’impression, en étant au gouvernement, que l’on a réussi un petit changement culturel. »

Et son rôle en 2017, comment l’envisage-t-il ? Prudent, il joue le bon soldat : « Je vais là où l’on me dit d’aller, je n’ai pas de prétentions. Mon appétence, c’est de trouver des idées. Et ce terrain-là est inoccupé. Plus qu’une opportunité à saisir, j’y vois un manque à combler. » Pour Marcelo Wesfreid, il ne fait aucun doute que Rémi Branco sera aux manettes en 2017 : « Il y a peu de gens qui savent mobiliser les réseaux et faire des campagnes. Rémi en fait partie. Sans compter qu’il est très proche d’Isabelle Sima, la chef de cabinet de l’Elysée. »

Il est du coup bien difficile à classer sur l’échiquier politique. Intello ? Technocrate ? Son parcours dans les coulisses du pouvoir pourrait le laisser penser. Pour Marcelo Wesfreid, il court le risque de devenir « un apparatchik, un spécialiste des congrès ».

L’analyse de Nicolas Duvoux, rédacteur en chef du site La vie des idées, régulièrement sollicité pour alimenter le think tank, est éclairante : « Il a un vrai goût pour les travaux académiques, et plus globalement pour tout ce qui relève de la sphère intellectuelle. Il comprend la social-démocratie dans le sens où il cherche à prendre en compte les enjeux sociaux dans la construction d’une politique. Ce qui me frappe chez lui, c’est qu’il témoigne toujours du même intérêt pour la réflexion depuis qu’il est aux affaires. »

Pour Jean-Daniel Levy, il incarne l’avenir de la politique : « Je vois beaucoup de conseillers ministériels socialistes : il y a ceux qui ont le sens politique et les autres ; ceux qui sont enfermés dans des considérations de court terme et ceux qui ont compris comment évolue la société. Rémi ne fait pas de la politique à l’ancienne. » Dans le circuit depuis 35 ans, Jean-Jacques Mirassou a vu défiler des jeunes qui sont « vieux avant d’avoir été jeunes ». Pour lui aussi, pas de doute, Rémi n’est pas fait de ce métal là : « Il a un engagement vrai et sincère. Ce n’est pas un vieux briscard de la politique comme il y en a une palanquée en Haute-Garonne ! »

Elu or not élu ?

Dès lors, qu’attend-t-il pour se lancer ? Peut être simplement d’être sûr de vouloir pénétrer dans l’arène. Surtout vu le spectacle donné par son parti à l’occasion des Régionales. « Quand je vois certains comportements, je me dis qu’il y a beaucoup trop de gens qui font de la politique pour de mauvaises raisons, pour compenser des manques. Quant on est militant, on doit suivre. Ne pas être sur une liste, ce n’est pas grave. »

La discipline du parti, toujours. Mais peut-on envisager un parcours politique sans un minimum d’égo ? Pour Jean-Daniel Levy, la réponse est non : « L’honnêteté n’empêche pas d’affirmer ses convictions. On a besoin de savoir ce que pense Rémi. »

Il n’est pas prêt à tout pour gravir les échelons mais il ne serait pas arrivé là sans ambition. Il est malin, fin stratège.

Clément Prunières, ancien camarade de Science Po

Une assertion à laquelle souscrit Dominique Villemot. Si pour l’éminence grise de François Hollande, sa proximité avec Stéphane Le Foll garantit à Rémi Branco un rôle à l’avenir, il émet cependant une réserve relative au tempérament du jeune homme. « Il ne donne pas l’impression d’avoir les dents qui rayent le parquet : c’est une qualité humaine qui peut être un défaut en politique. »

Rémi Branco, trop gentil ? Qu’on se rassure, d’après Clément Prunières, l’homme a le cuir dur : « Il n’est pas prêt à tout pour gravir les échelons mais il ne serait pas arrivé là sans ambition. Il est malin, fin stratège. »

Un avis partagé par Matthieu Commet : « Il a des valeurs, un certain code de conduite. Pour autant, il sait ce qu’il veut et il se fait respecter. Il n’a ni scrupules ni états d’âme. Si quelque chose lui déplait, il le dit. Il connaît beaucoup de gens, il a su s’imposer, c’est un homme de réseaux. » Le mot de la fin pour Lilian Allemagna, journaliste politique à Libé : « Pour l’instant, il est là pour défendre les intérêts du courant hollandiste. Il n’attend plus qu’une chose : qu’on lui demande d’y aller. »

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