Qui n’a jamais rêvé de suivre Otto Lidenbrock dans son voyage au centre de la terre ? Pour comprendre ce que cache la face immergée de Toulouse et découvrir ce qui se trouve sous nos pieds, Boudu a échangé avec Marc Jarry, de l’Institut national de recherches archéologiques. Entre préservation des archives des vies passées et aspirations contemporaines, le sous-sol toulousain fait l’objet de nombreuses convoitises.
« Il y a quelques endroits à Toulouse, où en soulevant un ou deux pavés, on se retrouve au Moyen Âge. » Depuis plus de vingt ans, Marc Jarry, délégué du directeur adjoint scientifique et technique de Midi-Pyrénées à l’Institut national de recherches archéologiques, étudie et fouille les sols toulousains. Si les souterrains sont connus par le grand public pour leurs infrastructures industrielles-transports, parking, centres commerciaux-ils sont surtout la mémoire des vies passées : « comme un livre dont les pages se posent les unes sur les autres avec la plus ancienne au fond. Tel un palimpseste avec ses pages un peu effacées ou jaunies, certaines disparues et d’autres qui s’entremêlent. » À Toulouse, le sous-sol commence à se constituer autour du IIIe siècle avant JC, au moment où des Gaulois s’installent sur les hauteurs de l’actuelle Vieille-Toulouse. Vers 10 avant J.C, les Romains viennent compléter le « millefeuilles » et écrivent le plus gros chapitre du livre. En arrivant, ils récupèrent les villes et s’implantent près de la Garonne pour favoriser les échanges économiques. « La ville antique est très profondément enfouie. Sans doute bien conservée mais très difficile d’accès. Par exemple, le temple capitolin était à 7-8 mètres de profondeur à Esquirol, et le théâtre qui se trouvait à hauteur du Pont-neuf est enfoui sous les maisons et les immeubles, invisible et très peu fouillé », précise Marc Jarry.
Aujourd’hui, il reste encore quelques traces de cette ville antique classique avec son forum, son capitole, son cirque, son théâtre découvert sous la rue de Metz entre 1869 et 1871, et des objets visibles notamment dans les caves des immeubles visitées par quelques explorateurs urbains (voir itv p52). Marc Jarry confirme l’existence d’un réseau de caves assez conséquent qui alimente la légende de « grands tunnels qui permettaient de se cacher » bien que cette idée relève « du fantasme et correspond bien souvent à un égout ». À la fin de l’Antiquité, la ville va un peu se contracter. Les Wisigoths débarquent en 418 suivis par toute une série d’occupations qui feront de Toulouse un centre royal : « À ce moment-là, Toulouse c’est un peu comme la série Kaamelott. On a encore les Romains qui traînent par-là, les barbares qui arrivent et les musulmans qui montent de temps en temps. » C’est à ce moment-là que Toulouse voit naître ses fondations telles qu’on les retrouve aujourd’hui. Puis vient la période médiévale pendant laquelle la ville se densifie tout en gardant le plan antique, qui va préparer les chapitres terminaux que sont le Moyen Âge récent et la période moderne : « Le Moyen Âge est moins profond que l’Antique donc nous avons pu faire beaucoup de fouilles, notamment à l’occasion des travaux du métro et des aménagements industriels. Quand on a fouillé le Jardin des plantes, le niveau archéologique des ateliers artisanaux du Moyen Âge était à moins d’un mètre de profondeur. C’est vraiment sous nos pieds ! ». Les remparts antiques finissent donc par laisser place aux remparts médiévaux qui délimitent les grands boulevards actuels. En somme, au fil des siècles, la ville s’enterre et les époques s’entassent : « On peut observer dans certains quartiers des maisons anciennes dont la porte est très basse. C’est parce que les rues s’enfoncent dans le sol et que la ville prend de la hauteur. Actuellement, la vieille ville de Toulouse est hors d’eau parce qu’elle est montée sur ses propres sédiments. Alors qu’à l’origine c’est une zone inondable. » Au niveau des berges de la Garonne, les grands murs témoignent de la montée de la ville et servent à maintenir les remblais accumulés au fil des siècles. Mais pour que Toulouse devienne l’importante Métropole que l’on connaît aujourd’hui, il faut attendre la fin de la période moderne et l’arrivée de l’ère industrielle.
Boyaux et ficelles Aujourd’hui, le sol urbain est devenu un « magasin de “boyaux” et de “ficelles” » peut-on lire dans Urbanisme souterrain de Sabine Barles et André Guillerme. Pendant très longtemps les populations se contentaient de tasser et de construire par-dessus, mais aujourd’hui les progrès techniques engendrent des travaux beaucoup plus violents et des aménagements plus profonds dans le sous-sol. Les plus importants étant les parkings souterrains ou les métros qui descendent parfois jusqu’à 15 mètres sous la surface. Dans Urbanisme souterrain, les auteurs rappellent que « dans les villes, ce n’est qu’au XIXe siècle que les grands travaux et la mécanisation des chantiers ont peu à peu, mais irréversiblement, bouleversé le sous-sol. » Ce n’est d’ailleurs qu’en 1933, qu’une première structure est créée, le Gécus (Groupe d’études du centre urbain souterrain), pour encadrer l’utilisation des sous-sols puis en 1972 l’Association Française des Tunnels et des Souterrains (Aftes).
« Les fouilles permettent d’enregistrer toutes les pages du livre avant qu’elles ne soient détruites »
Pourtant, ces structures n’empêchent pas la destruction des archives historiques conservées dans les sols des villes. C’est à la suite de nombreux scandales, dont font partie les fouilles du Capitole, réalisées en moins de deux jours, à l’occasion de la construction du parking en 1971, qu’une loi favorisant l’archéologie préventive a été promulguée en 2001. L’archéologie préventive est chargée de faire des diagnostics préalables aux constructions pour déterminer le temps nécessaire aux fouilles. En résulte la création de l’INRAP en 2002 qui compte aujourd’hui 2000 agents en France dont fait partie Marc Jarry : « Les fouilles permettent d’enregistrer toutes les pages du livre avant qu’elles ne soient détruites. Tout autour de nous, il y a toujours un endroit où il y a un archéologue qui fait un trou et il ne se passe pas une semaine à Toulouse sans qu’on trouve quelque chose. » Pour Marc Jarry, la beauté se trouve aussi dans les petits objets « qui apportent tout à coup la sensation d’être dans les pas des gens qu’on étudie. » Il rappelle que l’archéologue n’est pas un chasseur de trésors, mais un chasseur de vestiges et d’indices : « La manière dont Indiana Jones dégage ses trésors, c’est terrible pour nous ! ». Outre l’archéologie préventive, de nombreuses villes comme Montréal, Tokyo et même Paris qui a récemment vu s’installer des potagers en sous-sols, s’intéressent à la ville souterraine comme potentiel lieu de vie. À Toulouse, les sous-sols des immeubles du centre-ville voient déjà naître d’étonnants projets comme Troisième Sous-sol, un garage alternatif (voir p56). Peut-être les prémices du monde promis par certains experts et futurologues, pour qui la vie sous terre serait le remède au réchauffement et à la surpopulation.
A lire aussi : > Explorateurs souterrains > Garage au centre de la terre