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BOUDU

Sylvie Corroler-Talairach : La cellule intérieure

La pile de livres à lire ne diminue pas si vite, l’envie n’est pas là, des heures de séries idiotes pour oublier, avec forte culpabilité.

J’apprends qu’un confinement n’a rien à voir avec la volonté tant convoitée du « ne rien faire » des vacances.

J’apprends qu’il sait miner de l’intérieur ce temps vacant. Je sais voir comment il fait apparaître si crûment, violemment, toutes sortes d’inégalités sociales et culturelles. La taille de nos habitats qui joue sur notre capacité à nous supporter. Cela vaut autant pour le gentil petit couple qui va devoir réinventer le mot amour pour ne pas le perdre, que pour la famille de cinq personnes qui partage un 20m2 insalubre sans que cela, avant, ne nous ait jetés dans les rues, protestant de cette ignominie. Le service public et ses compétences qui s’est évertué à crier au désastre, au meurtre, à l’étouffement. Et encore, ceux-là avaient de la voix. Les autres, les visibles d’aujourd’hui – invisibles d’hier, qu’on héroïse maintenant, ça ne mange pas de pain…

J’apprends qu’aujourd’hui, confinée, je ne peux rien faire, rien, rien… Je me prends à espérer que demain, je pourrais, je saurais. Comment ? C’est demain qui me l’apprendra.

Comme c’est aujourd’hui que j’apprends de l’expérience, le confinement, en le vivant, l’éprouvant, certains jours.

Femme de culture, ce sont dans les œuvres d’art que je me ressource, me nourris. En 2014 je découvre une œuvre de Bill Viola qui me bouleverse. Pas du tout la plus belle, la plus fulgurante, la plus fascinante, comme peuvent être certaines de ses vidéos. Elle s’appelle Catherine’s room. Une même chambre, cinq fois, cinq vidéos de 18 minutes, une femme aux cheveux très courts, aux gestes mesurés, cinq actions comme des rituels, cinq temps de la journée, cinq lumières, du lever au coucher, quatre saisons et la nuit, une vie. La cellule de Catherine de Sienne. Catherine de Sienne, dans la lettre 223, à Alessia, écrit : « Fais-toi, ma fille, deux habitations : l’une dans ta cellule, pour ne pas aller causer de tous les côtés et pour n’en sortir que par nécessité… Fais-toi une autre habitation spirituelle que tu porteras toujours avec toi : c’est la cellule de la vraie connaissance de toi-même… Ce sont deux cellules en une ; et, en étant dans l’une, il ne faut pas quitter l’autre, car l’âme tomberait alors dans le trouble et la présomption ».

Et nous voilà, aujourd’hui, chacun dans sa cellule intérieure, comme il a su la construire.

J’écris ces lignes installée dans mon bureau : une pièce en bois de 12m2, posée dans mon jardin, dont je sais tout le confort physique, esthétique, intellectuel. N’empêche, je sais aussi l’isolement, la solitude volontaire, le silence intérieur, depuis longtemps.

Rien de difficile alors dans ce que la vie me propose, comme à des millions de gens dans le monde, aujourd’hui. Là aussi est mon luxe, je pense, dans ce : rien de difficile.

Et même, dans ce qui pourrait m’apparaître comme une aubaine, cette chose si souvent fantasmée : être enfermée chez soi sans pouvoir sortir pendant plusieurs jours, pour que le bruit du monde s’arrête.

C’est là, à portée de main. Il ne me reste plus pour le goûter qu’à me laisser aller, lâcher prise.

Mais les bruits du monde me parviennent et… surprise ! Je trouve ça heureux.


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