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Jean Couderc

Tempo Latino : Plus près des étoiles

Dernière mise à jour : 26 juin


Dans le Sud-Ouest, c’est bien connu, rien n’est impossible. Même créer des festivals à la renommée internationale en pleine cambrousse comme en attestent les succès de Jazz in Marciac, Country in Mirande ou Tempo Latino à Vic-Fezensac. Reportage dans la ville natale de Jean Castex où l’on démontre depuis près de 30 ans que dans le Gers on peut aimer le canard tout en détestant les couacs.


Eric Duffau

Qu’ont en commun Jazz in Marciac, Country in Mirande et Tempo Latino ? Celui d’avoir vu une poignée d’amateurs de musique réussir le tour de force de faire venir les plus grands artistes de leur discipline dans le Gers, département rural essentiellement connu pour ses paysages vallonnés, ses champs de tournesol ou ses palmipèdes. Dit comme ça, forcément, la performance tient du miracle. Sauf qu’en Gascogne, on a la tête dure et de la suite dans les idées. Comme à Vic-Fezensac où il a fallu à Éric Duffau et sa bande une bonne dose de candeur et de ténacité pour faire d’une idée saugrenue un festival aujourd’hui considéré comme le plus grand évènement européen de musiques latines et afro-cubain. Et la fierté de toute une ville. 


Photo : Rémi BENOIT

Mais à l’origine, comme souvent, il faut la (douce) folie d’un homme pour rendre les choses possible. Au pays de D’Artagnan, c’est donc Éric Duffau qui remplit la fonction. Touche-à-tout autodidacte, il joue, dans les années 80, en tant que tromboniste dans un groupe toulousain, Fraise des bois, qui joue « une sorte de salsa, un peu soca ». Si l’ambition est modeste, l’homme se souvient néanmoins avoir participé à la finale de l’Hexagonal rock avec Zebda au Bikini. « Et on les avait battus », s’esclaffe-t-il. 


À l’époque, les musiques latines ne sont pas aussi populaires que de nos jours. Alors lorsque celui qui est enseignant dans la vie ose passer quelques disques de mambo, cha-cha-cha ou salsa à la bodega qu’il gère avec des copains pour la feria de Pentecôte, l’initiative ne passe pas inaperçue. Très vite, il s’aperçoit que la mayonnaise prend : « Je passais Dario Moreno, Tito Puente, Carlos Santana, et je voyais que les gens dansaient, rigolaient. Il y avait bien des cons qui n’aimaient pas ça. Mais ils allaient ailleurs. » 


Sans avoir encore en tête le projet d’un festival, Duffau, séduit par les rythmes de cette musique venue d’ailleurs, commence à nourrir le rêve de convertir les Vicois en les faisant danser dans les arènes Joseph-Fourniol. « J’avais toujours entendu mon père et mon grand-père, qui étaient très investis dans les fêtes de Vic, dire qu’elles avaient accueilli dans le temps des concerts de Luis Mariano ou Xavier Cugat. Je me disais que si l’on arrivait à mettre des métis, des blacks, des mecs qui venaient de l’autre côté de l’Atlantique à la place des taureaux, cela pourrait avoir de la gueule. » 


Il ne reste plus qu’à convaincre les Vicois. Pas le plus simple. Au départ, seul l’entourage très proche est mis dans la confidence. « Je sentais que l’on me prenait un peu pour un illuminé, reconnaît-il. À Vic, personne n’écoutait de la salsa, à part moi. » L’homme a beau avoir conscience que son projet est « très puéril », il croit en sa bonne étoile et décide de forcer le destin en contactant Julien Delli Fiori, l’un des rares programmateurs de musique afro-cubaine, à l’époque sur France Inter : « J’avais senti que ce gars, en dehors du jazz, avait la fibre latine puisqu’il passait de la bossa, de la samba, des morceaux portoricains, etc. » Profitant de la descente à Marciac de celui qui fut l’un des artisans de la naissance de Fip, il décide, au culot, de l’appeler pour lui présenter le projet. À sa grande surprise, Delli Fiori est séduit. « Il a lu silencieusement le dossier de 8 pages que j’avais amené puis m’a dit : « Je pense que c’est une idée géniale. Il faut que tu le fasses avant que l’on te la pique parce qu’il n’existe pas de festival sur cette musique. Et si tu y arrives, j’en parlerai.” »


Il n’en faut pas plus à Eric Duffau pour se lancer à corps perdu dans l’aventure. À son retour dans le Gers, il convoque à la Maison Bleue toutes les associations vicoises susceptibles d’être intéressées, leur fait écouter ses disques préférés de Mambo, cha-cha-cha et salsa, et expose son projet de festival « co-construit » : « Contrairement à Pentecôte où chaque asso fait son truc dans son coin, ma proposition était qu’elles travaillent ensemble à la co-animation, l’accueil des artistes, l’hébergement, l’alimentation, etc. C’était un peu rocardien comme image mais il fallait bien mettre des mots sur les choses. »


Si la proposition ne soulève l’enthousiasme que d’une petite moitié de l’assistance, c’est suffisant, aux yeux de Duffau, pour créer l’association, avec le soutien du maire d’alors Jean Arnaud, et se mettre en quête des premiers artistes….de renom. Car il n’est pas question de se contenter de seconds couteaux : « Notre ambition a été dès le début de faire venir les plus grandes références ». Sinon que sans contact dans le milieu, la tâche s’annonce ardue. Mais là-encore, c’est au culot qu’Eric Duffau va forcer le destin. A Aiguillon, dans le Lot-et-Garonne, en marge d’un stage de jazz auquel il participe, il assiste à un concert de Mambomania. Ébloui par le talent de ces musiciens, il repère dans le public « un type un peu âgé avec des bretelles » qu’il identifie comme le manager du groupe. « Je lui ai dit que je cherchais un groupe pour un festival de salsa qui n’existait pas. Il a été surpris puis a accepté de me mettre en relation avec eux. » Sans s’en rendre compte, il vient de parler et de convaincre Rémy Kolpa Kopoul, l’un des fondateurs de Libération, de lui faire confiance : « C’est fou parce que j’étais fan de ses chroniques comme des programmations de Delli Fiory sur Inter ! » 


Plus rien ne peut empêcher le festival Tempo Latino de voir le jour. Après avoir réussi à grappiller quelques subsides aux collectivités, « même le Conseil général du Gers, alors de droite, qui considérait pourtant qu’il n’y avait que des gauchistes dans notre Conseil d’administration », l’équipe édite l’affiche avec en figure de proue, outre Mambomania, Los Van Van. Sauf que le groupe cubain est contraint d’annuler une semaine avant le début des festivités. « Expliquer qu’ils ne seraient pas là alors qu’ils figuraient en gros sur l’affiche, cela n’a pas été évident. Mais ça a commencé comme ça Tempo Latino. » 


Et malgré un léger déficit, que le maire et les membres de l’association s’étaient engagés à combler sur leurs propres deniers, la première édition, parrainée par Pierre Vassiliu, est couronnée de succès avec 3800 entrées recensées. Et surtout une vraie adhésion populaire. 


« Lorsque on a présenté le projet, beaucoup de Vicois étaient réticents, estimant que ça ferait une manifestation de plus et que ça allait couter de l’argent. À l’arrivée, on a été surpris par l’engouement, en particulier de la génération de nos parents », raconte Duffau.


Jean-François Labit, président du festival depuis 2019, après avoir été un bénévole de la première heure, confirme : « Cela a été révélateur d’un état d’esprit. Je n’imaginais pas, par exemple, que mon grand-père qui faisait partie du club taurin, y serait sensible. Quand je lui ai demandé si ça ne faisait pas trop de bruit, il m’a répondu : « Tu rigoles mais j’adore ça, je n’ai jamais vu ça à Vic ». »


Avec Jean-François Labit, son successeur à la direction du ;festival Tempo Latino
Avec Jean-François Labit, son successeur à la direction du festival Tempo Latino. Photo : Rémi BENOIT

30 ans après, Eric Duffau avoue : « Sans le dire ouvertement parce que je ne voulais pas être taxé de prosélytisme, je me disais que cela ne nous ferait pas de mal de sortir du rugby et des corridas. D’ailleurs j’avais pu m’appuyer sur le président du club taurin Jean Fitte qui tout en aimant les toros m’avait dit : “ On finira pas en crever si l’on ne fait que ça”. »


Comme dans chaque épopée, un voyage va également contribuer à souder l’équipe. Invitée par Havana Club à venir découvrir Cuba, Duffau et sa bande débarquent à La Havane après une nuit à s’envoyer des mojitos à Barcelone. Une délégation de 16 Gersois en goguette qui ne va pas passer inaperçue dans les rues de la capitale cubaine. « Trois taxis rouges sont venus nous chercher à notre hôtel pour nous amener déguster du vieux rhum dans une paillote. Puis le directeur commercial a tenu à nous faire la visite des bars le lendemain. Sinon qu’on y était déjà allés la veille…On a terminé au Palacio de la salsa à 2h30 du matin. Le type, on l’a crevé. Il s’est enfui en nous disant : “Vous êtes des fous.” » 


Reste que le festival, pas épargné par la malchance, va mettre quelques années avant de véritablement trouver son rythme de croisière. Alors que les organisateurs décident de casser leur tirelire pour faire venir le grand Oscar D’Léon en 1996, une tempête les oblige à annuler le concert. Un coup dur, malgré la découverte de Compay Segundo la même année, qui laisse les finances de l’association exsangues. « Heureusement, les assurances nous ont bien remboursé ! »


Mais l’année d’après, pour sa première prestation, le musicien vénézuélien enflamme les arènes au cours d’un concert d’anthologie de plus de 3h30. Une histoire de parole tenue : « Lorsque nous avons été contraints d’annuler, je lui ai fait la promesse que l’on ferait tout pour le réinviter, explique Eric Duffau. Ce que l’on a fait. Et pour nous remercier, il nous a offert ce moment fabuleux. » Un concert qui fait définitivement rentrer Tempo Latino dans la cour des grands d’autant que l’année d’après, c’est la reine de la salsa, Célia Cruz qui l’accompagne pour un concert légendaire où Oscar D’Léon accède à la requête d’Eric Duffau de reproduire son entrée du Madison Square Garden : « Il avait traversé le public et était monté sur scène comme un boxeur. Je lui ai demandé de le faire. Et il a accepté. » 


Une anecdote qui résume à merveille l’histoire de cet homme que rien ne prédestinait à être à l’origine de ce festival. « Tempo Latino, je l’ai tout fait à la gueule. Pour rencontrer des gens et m’extraire de mon quotidien. Et s’il y a une chose dont je suis fier, c’est le métissage de ce festival. Sans que l’on ait eu besoin d’en faire un acte de militantisme. Ca s’est fait tout seul, et c’est bien. Certains énoncent des valeurs mais ne les appliquent pas. Nous, à Vic, on les applique. »


Il ne lui reste qu’un rêve : faire venir son idole de toujours Carlos Santana, avant de (peut-être) passer définitivement la main. « J’ai eu la chance, pour mes 60 ans, de le rencontrer en back stage à Pause Guitare à Albi. J’étais comme un gamin devant le sapin de Noël. Je lui ai parlé de Tempo Latino, lui ai montré la liste des gens qui étaient venus, Cachao, Celia Cruz, etc. Je lui ai dis qu’il en manquait un, lui.  Mais ce n’est pas un caprice : mon but c’est de le faire venir pour qu’il soit dans l’histoire du festival. » Et imprimer encore davantage la légende. 


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