Alors que le gouvernement a lancé son Grenelle des violences conjugales et que l’on égrène les féminicides, on s’intéresse finalement assez peu aux hommes qui commettent ces violences. Leur prise en charge est pourtant cruciale, puisque 40 % des assassinats de femmes sont des récidives de violences occultées. À Toulouse, l’Association vivre ses conflits (Avac) tente de combler le retard pris par la France dans le suivi des hommes violents, en bousculant les habitudes et les idées reçues.
« J'ai été auteur de violences faites aux femmes. En prendre conscience, en parler, lutter contre, est mon parcours. Messieurs, et vous ? », clame la pancarte portée par Bruno, la cinquantaine, lors d’une manifestation #Metoo à Toulouse, fin novembre 2017. Surprenant, courageux même, quand dans le discours dominant, les hommes auteurs de violences n’ont leur place qu’en prison. Le questionnement sur l’origine des violences qui permettrait d’éviter en partie que se répètent les drames est occulté. Il est fait état des assassinats de femmes, mais ces meurtres sont souvent les récidives d’actes violents occultés. Or, les statistiques du centre Clotaire à Saint-Nicolas-lez-Arras montrent que lorsqu’ils suivent un parcours de soins, moins de 8 % des hommes récidivent. Dans le cas contraire, ils sont 40 %.
Des structures existent, qui prennent en charge les hommes auteurs de violences familiales, notamment des groupes de parole. Elles sont 33 sur le territoire, regroupées par la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales & familiales. En Occitanie, on en trouve deux, dont l’Avac. « En 1995, sa création résultait d’un manque », confie la coordinatrice du projet, Marie-Jacques Bidan, psychologue, psychanalyste, psychothérapeute de la famille et du couple. Les groupes de parole pour les auteurs et les victimes de violences conjugales fonctionnent, eux, depuis 2002.
« Je me bats depuis des années pour faire admettre qu’écouter les hommes auteurs de violences est primordial dans la lutte et la prévention des violences faites aux femmes », insiste-t-elle. « En France, nous sommes terriblement en retard, notamment par rapport à nos voisins européens ou aux Canadiens, dans la reconnaissance de l’utilité de tels suivis. » Au Grenelle, Marlène Schiappa, la secrétaire d’État pour l’égalité entre les femmes et les hommes a fait comprendre aux associations réunies dans la FNACAV, qu’il n’y avait déjà pas assez d’argent pour mettre les femmes victimes à l’abri, alors de là à « aider » les hommes auteurs de sévices…
Pourtant, les structures qui accompagnent les femmes et enfants victimes sont elles-mêmes favorables au suivi socio-judiciaire des auteurs de violences, comme le dit Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), regroupant plusieurs associations dont les toulousaines APIAF et Olympe de Gouges, et responsable de la gestion du numéro d’urgence 3919. « Évidemment il faut des équipes qui évaluent le danger, qui s’occupent des hommes et les amènent à prendre conscience de leur responsabilité dans les violences. Mais il faut aussi renforcer le suivi socio-judiciaire. La sanction pénale ne suffit pas. » Elle insiste toutefois sur le fait que ces suivis doivent se faire dans des structures séparées, avec des équipes différentes, pour la sécurité des victimes d’abord et pour ne pas interférer entre accompagnement des femmes et suivi socio-judiciaire des auteurs, « ce qui n’empêche pas les passerelles, dans l’intérêt des victimes ».
« Avec le mouvement #MeToo, il y a un véritable raz-de-marée de la parole des femmes et ça, les hommes s’en rendent compte », pointe Bruno Ranchin, sociologue et formateur. « Ils ont peur d’être montrés du doigt. Il y a bien sûr des malades qui relèvent de la psychiatrie. C’est une infime partie des hommes auteurs de violences, mais dans la représentation médiatique du sujet, c’est exclusivement le monstre et le pervers qui apparaissent. En contrepoint du discours féminin, il n’y a rien aujourd’hui. Il y a indéniablement un travail de société à accomplir, sur le fait de cantonner une personne dans un genre bien défini jusqu’à la façon d’interagir avec l’autre sexe. Que l’on parle d’homme ou de femme. »
« LA PRISON SANS SUIVI NE SERT À RIEN, ELLE ISOLE, ELLE CONFORTE DANS LE DÉNI, ELLE AIGRIT, ELLE ÉNERVE UN PEU PLUS. »
Bruno, patient pris en charge par l'Avac
Le suivi par l’Avac est en général imposé à des hommes condamnés par la justice suite à des actes de violence, après une période d’incarcération ou pas, dans le cadre du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Chaque année, 500 victimes et auteurs de violences sont orientés ou se présentent spontanément à l’Avac pour un suivi gratuit. Maryse Pervanchon, psychologue et sociologue-anthropologue, animatrice d’un groupe avec Bruno Ranchin, témoigne : « Je vois des hommes qui ont envie de calmer le jeu, de trouver d’autres modalités de compréhension de la femme/épouse/mère et de leurs enfants ».
Signe que la structure œuvre pour la prévention, certains hommes sont présents alors qu’ils n’ont commis aucune violence physique. C’est le cas de William*, 29 ans, qui a été envoyé à l’Avac par le SPIP.